1.
construction des savoirslangage et savoirsgenremythe acteurs de savoirstatutlettré pratiques savantespratique intellectuelle inscription des savoirsgenre éditorialbiographie typologie des savoirsobjets d’étudepensée pratiques savantespratique artistiquepoésieLes « maisons mentales » du poète François Pétrarque, en référence à son riverain de la Sorgue, René Char, sont celles qui, bien au-delà de toute biographie, ont joué un rôle décisif dans l’élaboration de l’identité posthume du poète de la pré-Renaissance (voir ill. ci-contre). La construction mentale, sensible et intellectuelle du premier « homme de lettres » moderne préfigure Raphaël, Michel-Ange ou encore Pic de la Mirandole qui générèrent, chacun de leur vivant, la création d’un immense mythe.

pratiques savantespratique discursivedescriptionCe portrait de Pétrarque est considéré comme le plus véridique du poète. Altichiero, à qui toute la décoration de la chapelle avait été confiée, avait terminé son travail avant le 30 mai 1382, puisque c’est à cette date qu’il déclare avoir été payé. Sur la paroi de droite, on trouve la représentation du baptême du roi par saint Georges et parmi les assistants on reconnaît, sans la moindre possibilité de doute car les noms sont écrits en bas de la fresque, Pétrarque (en noir) tel qu’Altichiero l’aurait connu de son vivant.
espaces savantslieubibliothèque pratiques savantespratique artistiquelittérature acteurs de savoirmodes d’interactionconflictualitéParadoxalement, ce qui frappe le plus dans la vie de François Pétrarque est son instabilité, une aptitude particulière, non sans peines et aventures, à « lever le camp », comme une disposition à l’itinérance (« peregrinus ubique ») nécessaire à une vie subordonnée au bon vouloir des puissants et qui, avant tout et surtout, se devait de devenir littérature. Les maisons du poète sont innombrables ; celles d’Arezzo (1304), Incisa (1304-1312), Vaucluse (1337-1353), Parme (1341-1342), Milan (1353-1361), Venise (1363-1368) et Arquà (1370-1374) ont été particulièrement choisies, excepté à l’évidence celles de l’enfance, dans leur dimension protectrice, symbolique et matricielle. Il n’y eut point de hasard ni d’imprévu dans une vie construite et écrite pour la Postérité 2. La résidence des monts de Vaucluse, au même titre que celle d’Arquà ou encore la ou les maisons de Parme, recueillirent les préférences d’un homme car elles interprétèrent la synthèse virgilienne de l’art et de la nature nécessaire à la mise en scène, calquée sur le modèle de l’antique civilisation latine, des aspirations à l’« otium ». Il y eut aussi l’appel de la ville lagunaire, Venise, cette « civitas miraculosissima », avec la résidence de la Riva degli Schiavoni, comme l’alternative la plus radicale à sa « ruralis habitatio », alors même que Pétrarque était prêt à engager pour elle son immense trésor : sa bibliothèque.
construction des savoirséducationJamais le temps passé dans ces maisons ne fut très long pour cet éternel vagabond, mais le paysage de pierre, garanti par le bon gouvernement, la sagesse et la concorde fut autant un « refugium » que celui des collines euganéennes ou de la Provence. Est-ce là l’unificateur de toutes ces demeures gardiennes d’une vie éduquée, cultivée, tranquille ?
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesarchéologieIl reste, pour la postérité, l’intensité du mythe pétrarquiste, ancré matériellement dans ces supposées maisons du poète car aucune n’est pour ainsi dire « historique ». Certaines ont tout simplement disparu, d’autres ont traversé les siècles et sont désormais le résultat d’une stratification autant architecturale qu’imaginaire car elles ont favorisé une archéologie affective, initiatrice d’un culte des lieux et des reliques dans leurs réappropriations successives, réelles ou fantasmées. Selon les âges, l’histoire y a inscrit ses goûts, ses préoccupations, trahi ses obsessions profondes au regard du legs attendu du chantre de Laure et du père de l’humanisme. Ouvrons les portes de trois d’entre elles, celles des trois âges de la vie : l’enfance à Arezzo, la jeunesse et la maturité à Vaucluse, la vieillesse à Arquà. Leur histoire s’inscrit dans la perception collective d’une topo-mythologie autour de la figure tutélaire du grand homme.
1.1. Arezzo (1304), via dell'Orto 28
1.1.1. La maison au seuil de la vie
espaces savantslieumaisonLorsque Pétrarque naît à Arezzo, le 20 juillet 1304, au cœur du faubourg dell’Orto, Dante Alighieri est également présent dans la ville où il trouva refuge au même titre que son ami, Ser Petrarco, père de Francesco, tous deux exilés de Florence. La maison natale de Pétrarque, comme lui-même l’atteste, ne fut « ni grande ni riche mais telle qu’elle convenait à la condition d’un exilé »3. Nous n’en saurons pas plus sur cette propriété car très vite la famille s’installa à Incisa où Pétrarque passa les six premières années de sa vie.
acteurs de savoirmodes d’interactionconflictualitéOn lui rapporta plus tard que le propriétaire de la maison d’Arezzo avait projeté de la rénover et de l’agrandir, mais que ce dernier s’était heurté à l’opposition des citoyens de la ville qui désiraient qu’elle restât précisément dans l’état où elle se trouvait quand il y était né. Sur le chemin du retour de Rome où il fut couronné le 8 avril 1341 roi des poètes, Pétrarque s’arrêta à Arezzo. Pour l’honorer, ses concitoyens voulurent l’accompagner hors des remparts de la ville et, sans l’en avertir, le conduisirent dans le faubourg, devant sa maison. Il ne l’avait pas revue depuis sa naissance. Ce fait l’émut profondément.
1.1.2. Une maison de l’érudition
acteurs de savoirstatutsavant typologie des savoirsobjets d’étudesociété espaces savantslieubibliothèque pratiques savantespratique artistiquearchitecture acteurs de savoirstatutéruditL’édifice identifié aujourd’hui par la tradition comme la maison de Pétrarque est une demeure aristocratique imposante du 16e siècle, qui correspond à la typologie architecturale postmédiévale propre à la Toscane avec ses arches particulières et son toit en terrasse. Elle fut en partie restaurée après un raid aérien en 1943. La Casa Petrarca n’est que partiellement ouverte au public ; elle abrite une riche bibliothèque de plus de 20 000 ouvrages et est le siège d’une société savante, l’Accademia Petrarca di lettere, arti e scienze. Celle-ci fut fondée en 1810 dans l’Italie napoléonienne, sous l’égide d’Elisa Bonaparte Baciocchi, grande-duchesse de Toscane, qui gouvernait trois départements toscans annexés, deux ans auparavant, à l’Empire français. Elle prit son nom actuel en 1928.
acteurs de savoirprofessionécrivain pratiques savantespratique lettréepublication inscription des savoirsgenre éditorialrevue pratiques savantespratique lettréeédition savanteL’Accademia Petrarca a promu, au cours de ses deux cents ans d’existence, une activité éditoriale intense et raisonnée. Elle publie deux revues scientifiques : Atti e Memorie et Studi Petrarcheschi. Cette dernière a été fondée en 1948 par l’éminent spécialiste de Pétrarque Carlo Calcaterra. Une première série fut achevée en 1978 par le volume IV. Une seconde série a commencé en 1984, dirigée par Gino Belloni, Giuseppe Billanovich, Giuseppe Frasso et Nicholas Mann. Les Studi petrarcheschi, publiés et distribués par les éditions Antenore dont le siège est encore à Padoue, représentent l’un des sites d’éditions internationales critiques les plus pertinents consacrés à l’étude de l’écrivain.
1.2. Vaucluse (1337-1353), rive gauche de la Sorgue
1.2.1. La maison poétique et philosophique
espaces savantscirculationvoyage acteurs de savoircommunautéfamilleDans l’exil de son enfance en Avignon puis à Carpentras, Pétrarque à peine âgé de neuf ans découvrit Vaucluse en compagnie de son père. Le site, par sa résurgence mystérieuse, exerçait déjà une puissante fascination sur les esprits. Il s’y installa plus tard, en 1337, à l’âge de trente-trois ans et y fit quatre séjours, en une vingtaine d’années, dans l’intervalle de ses voyages à travers l’Europe. Son ancrage à Vaucluse a joué un rôle majeur dans l’élaboration littéraire et spirituelle de son propre mythe :
pratiques savantespratique discursiverécit« Qu’eut donc ce lieu, je ne dis pas de plus beau mais de plus célèbre si ce n’est mon séjour ? Je peux même ajouter que pour beaucoup ce lieu est devenu, grâce à moi, non moins célèbre que grâce à sa source magnifique »4.
construction des savoirstraditionmythologie pratiques savantespratique artistiquelittérature pratiques savantespratique artistiquepoésieCe fut à Vaucluse que Pétrarque entreprit la plus grande partie de sa gigantesque œuvre poétique et littéraire, inspirée par l’« Apollon sonore » des « ondes thessaliques »5. Comme le constatait Sénèque, le lyrisme d’un poète ne pouvait totalement s’exprimer que dans le cadre d’une nature exceptionnelle, à proximité d’une source consacrée aux muses, jaillissant d’une cavité mystérieuse6. Ainsi, pour obéir aux conseils des Anciens, Pétrarque se retira au pied de la source vauclusienne dont le paysage allégorique lui fournissait l’adjuvant mythologique, esthétiquement latin, digne des grands sites sibyllins du bassin méditerranéen. Il scénographia à Vaucluse le credo humaniste de la solitude créatrice, dans un lieu qui resterait éternellement attaché à son nom.
inscription des savoirslivremanuscrit Pétrarque acheta à Vaucluse une petite maison située sur la rive gauche de la Sorgue, adossée à la falaise, sous le château de son ami l’évêque de Cavaillon, Philippe de Cabassole. Il mentionne, dans ses Lettres familières 7, ses deux jardins de « Bacchus » et d’« Apollon » qui représentaient pour lui des enclos d’Antiquité, encore que sa préférence, dans sa figuration symbolique, soit celle du paysage pastoral du berger-poète peint par Simone Martini en frontispice de son « Virgile ». Cette enluminure, sur le plus intime manuscrit de Pétrarque, renferme l’idéalisation de Vaucluse à travers la vision virgilienne d’une habitation qui fut avant tout celle des dieux (voir ill. p. 61).

pratiques savantespratique artistiquepoésie pratiques savantespratique artistiquepeintureDans la peinture de Simone Martini, Virgile est assis sous l’arbre central, peut-être un laurier avec ses feuilles plus vertes, plus larges et plus pointues parmi la luxuriance et le verdoiement d’un verger. Sa tête est ceinte d’une couronne de laurier ; l’ornement rappelle les aspirations de Pétrarque, poète lauré en 1341, et suggère le nom de Laure devenu synonyme de « la Laurea poetica ». On y voit aussi le rhéteur qui révèle à Enée, à un paysan et à un berger, symbolisant tour à tour L’Énéide, Les Géorgiques et Les Bucoliques, l’auteur de ces trois poèmes en train de composer, caché par un rideau. Au centre, deux couples d’hexamètres, sur des rouleaux tenus par des mains ailées, célèbrent Virgile, fruit de la terre italique, et Servius capable par son commentaire d’en dévoiler les arcanes. L’image idyllique de Virgile ne pouvait que satisfaire Pétrarque dans son appréciation de la nature de Vaucluse.
1.2.2. L’immensité de l’imaginaire
espaces savantslieumaison pratiques savantespratique discursivedescription pratiques savantespratique artistiquelittérature espaces savantslieu Pétrarque s’était vanté d’apporter la renommée au lieu ; il ne fut pas démenti. Le pèlerinage sentimental et littéraire à la Fontaine-de-Vaucluse, qu’accompagnait la courbe ascendante du pétrarquisme en Europe au 16e siècle, trouva une expression dans la volonté archéologique de déterminer l’emplacement exact de la maison du poète. Celle-ci devint l’objet de longues dissertations et d’innombrables controverses. Il fallait les preuves irréfutables d’une cartographie minutieuse. Vellutello, grand éditeur de Pétrarque, se rendit à Vaucluse en 1520 et dessina ce qu’il appela une « description de la situation de Valclusa ». Après lui, Gabriel Syméon, archéologue et homme de lettres florentin, prétendit en 1558 avoir retrouvé la maison-témoin et à son tour cartographia les monts de Vaucluse (voir ill. ci-contre). Cette forme de tourisme mythique inaugura la longue cohorte des visiteurs célèbres, ombres tutélaires de la vallée. Parmi les grands voyageurs lettrés venus sur les pas de Pétrarque, citons Honoré d’Urfé, Madeleine de Scudéry, Casanova, Mirabeau, Lamartine, Chateaubriand, George Sand, Stendhal et bien d’autres, qui visitèrent ce qui fut désigné, selon les époques et les différentes écoles, comme la « maison » de Pétrarque.

pratiques savantespratique manuelleinscriptionDans cette vignette géographique figurent, en un arc de cercle, les collines de Vaucluse avec au centre les deux pains de sucre surmontés de l’inscription « Vaucluse ». Au premier plan se trouve la ville de L’Isle-sur-Sorgue ceinturée par ses canaux et par des remparts flanqués de tours. Les méandres de la Sorgue conduisent à Vaucluse ; le pont permet de rejoindre la rive gauche de la Sorgue. À gauche du pont, sur la rive, on voit un bâtiment et, semble-t-il, l’entrée du tunnel romain, sur le tertre d’une colline deux bâtiments comprenant la mention « Maison de Pétrarque », plus haut le château de Philippe de Cabassole ruiné. Sur le haut de la gravure, à droite, est représentée la résurgence de la Sorgue, la source principale et les orifices des réseaux annexes.
espaces savantsterritoireville espaces savantslieuuniversitéL’idée germa alors, tout au long du 19e siècle, de la création d’un musée consacré à Pétrarque à Fontaine-de-Vaucluse. C’est ainsi que le 7 octobre 1928, l’Université d’Aix-Marseille procédait, sous le haut patronage du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, Edouard Herriot, à l’inauguration de la « Maison de Pétrarque » à Vaucluse, dans une petite bâtisse du 19e siècle, sur la rive gauche, lovée sous la roche et enchâssée par la Sorgue. Cette maison, sur l’emplacement supposé qu’occupait celle du poète au 14e siècle, avait été mise à la disposition de l’université, sous la forme emphytéotique d’un bail, grâce à la générosité de la Société nouvelle du Valdor, propriétaire de papeteries dans le village.
construction des savoirslangage et savoirsgenremythe acteurs de savoirprofessionartiste espaces savantslieubibliothèque espaces savantslieumuséeLe musée a depuis connu une fortune diverse. Acheté par le Conseil général du Vaucluse en 1968, il est resté fermé de nombreuses années jusqu’à sa réouverture en 1986 (voir ill. p. 65). Désormais, il est dénommé Musée-bibliothèque François Pétrarque en raison de son riche fonds d’éditions anciennes et de sa double vocation iconographique et bibliophilique. Ses collections – qui bénéficient de l’appellation Musées de France – n’ont cessé de s’enrichir, en particulier avec la constitution d’une collection d’art moderne et contemporain en lien avec les artistes qui ont perpétué la tradition créatrice du site inspiré. Il n’existe aucun objet du quotidien de Pétrarque dans ce musée dévolu entièrement à la force poétique du mythe que cristallisent la beauté de la nature, le mystère du gouffre, l’amour infini et sans illusion de la créature et de la création, le temps symbolisé par l’écoulement de la Sorgue. Les visiteurs quittent le musée convaincus qu’ils ont bien vu la maison de Pétrarque, non pas dans sa dimension domestique, mais en tant que point géodésique d’un mythe qui transcende de très loin la maison d’écrivain. Le parti pris de ce lieu de mémoire littéraire, au confluent du tourisme de pèlerinage, de l’étude et de la création, est avant tout la mise en valeur d’un site d’exception.

espaces savantslieumuséeEn 1968, le Département rachète le Musée Pétrarque. Les maisons alentour, où logeaient essentiellement les ouvriers des usines à papier du village, sont elles aussi acquises puis rasées, dégageant ainsi, devant le musée, un vaste parc qui est aujourd’hui au cœur du projet Grand Site.
1.3. Arquà (1370-1374), via Valleselle
1.3.1. La maison de la vieillesse
« J’ai construit une petite maison décente et noble sur les Euganéennes ; ici je mène les dernières années de ma vie en paix, me souvenant et embrassant avec une mémoire tenace mes amis absents ou décédés »8.
espaces savantslieujardin espaces savantslieumaison espaces savantsterritoireEn 1369, Pétrarque, âgé et malade, fit réaménager sur le territoire padouan une maison dans le village à l’incomparable physionomie médiévale d’Arquà. Ce nouvel Hélicon lui fut peut-être donné par Francesco le vieux de Carrare, seigneur de Padoue et ami du poète. Pétrarque fit d’Arquà le refuge privilégié des années qui lui restaient à vivre. Cette maison de qualité, digne, en maçonnerie, n’était pas comparable à la modestie louée de sa maison provençale, rustique et périssable. Elle s’apparentait plus à une demeure patricienne. La construction originale était composée de deux corps de bâtiments, situés à des niveaux différents. Pétrarque fit réunir les deux parties et utilisa l’étage supérieur comme habitation pour lui et sa famille, réservant l’aile droite aux serviteurs. À l’avant de la maison se trouvait le jardin, à l’arrière le verger. Comme à Vaucluse, Pétrarque consacra une grande attention à ses jardins et se plut à les décrire.
pratiques savantespratique artistiquepeinture construction des savoirstraditionhéritage acteurs de savoircommunautéfamilleÀ la mort du poète en 1374, la maison fut cédée en héritage à son gendre, Francesco da Brossano, époux de sa fille Francesca, à la condition qu’elle ne puisse être vendue durant vingt ans. Nous ne disposons d’aucune information sur le devenir de la maison jusqu’en 1454, lorsque Federico Giustinian la céda aux moines de San Giorgio Maggiore de Venise. En 1546, elle appartenait au Padouan Paolo Valdezocco, descendant de la famille du typographe qui, en 1472, avait imprimé l’édition du Canzoniere dans cette ville. Il fit ajouter la loggia et l’escalier extérieur qui mène aujourd’hui au premier étage, et commanda les peintures murales des pièces, inspirées des œuvres de Pétrarque et que l’on peut encore admirer aujourd’hui. Les scènes allégoriques sont peintes dans le registre supérieur tandis qu’en partie basse, les murs sont habillés de motifs ornementaux qui imitent des drapés. Divers propriétaires privés se succédèrent jusqu’en 1875, date à laquelle le cardinal Pietro Silvestri fit don de la maison à la municipalité de Padoue.
1.3.2. Un pétrarquisme populaire
construction des savoirstraditionreligion pratiques savantespratique artistiquepeinture espaces savantslieubibliothèque construction des savoirstraditionmémoireLes modifications apportées au 16e siècle par Paolo Valdezocco visaient déjà à valoriser la maison en lieu de mémoire pétrarquiste à la mode du temps. La maison du grand Italien était sacrée. Elle se devait d’être un reliquaire où se trouvait enfermé le mobilier – fauteuil et armoire-bibliothèque – qui aurait appartenu au poète, sans compter sa chatte embaumée, animal-relique apparu dès le 17e siècle. L’ouvrage de Giacomo Filippo Tomasini, Petrarcha redivivus, édité en 1635, peut être considéré comme le premier véritable guide de la maison. Tomasini reconstitue la vie du poète, s’essaie à une biographie de Laure, décrit avec grande précision l’intérieur de la maison en s’arrêtant sur les peintures et les objets « religieux » : chaise, cabinet, momie du chat. Pour la première fois, une gravure imprimée donne à voir le plan de la maison avec les transformations et interventions de Valdezocco et celles effectuées, au début du 17e siècle, par les Gabrielli (voir ill. p. 66). En 1783, le chevalier Girolamo Zulian, locataire et gardien de la mémoire des lieux, introduisit l’utilisation de registres de signatures pour les visiteurs venus en pèlerinage. Auparavant, la coutume était de graver son nom ou une phrase directement sur les murs ou même le mobilier de la maison. Cette tradition du graffiti fut également celle de Vaucluse, comme l’atteste Casanova de Seingalt dans ses Mémoires, qui ne manqua pas d’inscrire au couteau ses initiales et la date, sur un mur supposé de la maison de Pétrarque, en souvenir de son passage9.

inscription des savoirsvisualisationimagegravureCette gravure est le témoignage iconographique le plus ancien de la maison de Pétrarque à Arquà. Elle documente son état après les transformations exécutées aux 16e et 17e siècles. Dans la partie centrale, à gauche, on peut voir l’escalier et la loggia, le balcon en bois sur le côté gauche et à l’intérieur la division des pièces.
espaces savantslieumuséeDepuis lors, le Musée civique de Padoue, tout particulièrement à l’occasion du septième centenaire de la naissance du poète en 2004, a revisité et réorienté le propos patrimonial, en lui ôtant son caractère de cabinet des curiosités du kitsch pétrarquien, par la présentation d’une exposition didactique et permanente de documents reproduits. Doit-on le regretter ? Il est particulièrement difficile de trouver un équilibre, dans la construction d’un espace de représentation, entre réalité et imaginaire.
typologie des savoirsobjets d’étudepensée pratiques savantespratique intellectuelle pratiques savantespratique artistiquelittérature espaces savantslieumaisonLa maison par rapport à l’homme est le reflet symbolique de sa vie qui réunit bons et mauvais moments, et dont il faut par conséquent « occuper toutes les pièces, les salubres comme les malsaines, et les belles aérées » (pour reprendre la citation de René Char qui ouvre notre article). « Pièce » évoque par ailleurs le théâtre et le jeu dramatique de toute vérité existentielle. Si nous devions établir une échelle des priorités ou affects qui ont uni Pétrarque aux nombreux lieux de son existence, ressortent en premier le besoin de solitude et d’un refuge rural, puis l’adéquation avec le paysage d’une nature isolée dans le champ continu de la littérature ou de la construction intellectuelle et spirituelle. S’agissant d’un auteur hanté par l’élaboration incessante d’une figure de soi, les « maisons mentales » furent celles, « prismatiques », du « locus amoenus », de la campagne-jardin, garante et gardienne de cette paix tant recherchée, de cet « otium » serein convoqué dans la recherche de soi-même. La maison, plus qu’un lieu physique, avait donc pour Pétrarque la dimension de l’esprit.
inscription des savoirslivrebibliographie construction des savoirslangage et savoirsgenremythe espaces savantslieumaison espaces savantslieumusée espaces savantslieusanctuaireEn miroir de cette vision se sont érigés des sanctuaires pétrarquiens pour satisfaire la curiosité, l’imaginaire collectif et l’envie de recueillement. Le rôle d’une maison d’écrivain est avant tout d’apporter une compréhension de l’œuvre littéraire à travers la biographie et les éléments familiers du contexte de son auteur. Les maisons-musées de Pétrarque sont d’une authenticité très relative et elles n’ont pas, dans leur déclinaison, la prétention à restituer un propos de vérité. D’ailleurs, faut-il montrer l’encrier de l’écrivain ou créer le mythe autour de l’encrier ? La mémoire littéraire des grands auteurs ne connaît pas le réalisme ; seuls les livres remis à la postérité représentent le tiers lieu d’une quête des traces et images qu’ils ont laissées d’eux-mêmes.
L’auteur souhaite adresser ses remerciements à Guillaume Dolo pour l’avoir aidée à rassembler les sources documentaires nécessaires à la rédaction de cet article.
René Char, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, p. 512-513
Epître à la postérité et testament (Posteritati)
Lettres de vieillesse (Rerum senilium), XIII, 3
Lettres familières (Rerum familiarum), VIII, 3, 9
« Apollo, s’anchor vive il bel desio / che t’infiammava a le thesaliche onde » (Canzoniere, XXXIV)
Lettres à Lucilius
Lettres familières (Rerum familiarum), XIII, 8
Lettres de vieillesse (Rerum senilium), XIII, 8
J. Casanova de Seingalt, Mémoires, t. VII, chapitre II
Appendix A Orientations bibliographiques
- Ugo Dotti, Pétrarque, Paris, Fayard, 1991
- Petrarca e i suoi luoghi. Spazi reali e paesaggi poetici alle origini del moderno senso della natura, a cura di Domenico Luciani e Monique Mosser, Treviso, Edizioni Fondazione Benetton Studi Ricerche/Canova, 2009
- Ève Duperray, L’Or des mots, une lecture de Pétrarque et du mythe littéraire de Vaucluse des origines à l’orée du XX e siècle . Histoire du pétrarquisme en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997