L’éditeur remercie Guy Didier pour son aide apportée à la réduction de l’article aux limites imposées par le format de La Revue.
1.
construction des savoirsvalidationtémoignage acteurs de savoirprofessionécrivain pratiques savantespratique discursivedescription espaces savantslieuQuelques curieux, savants et touristes ont éprouvé l’envie de visiter le château de Montaigne, dès la fin du 18e siècle, l’une des attractions du lieu étant la « librairie », là où, dans une ancienne tour de garde, l’auteur avait installé son millier de livres pour pratiquer son « commerce » avec eux et s’essayer à écrire. Des voyageurs ont livré des descriptions qui aident aujourd’hui à en imaginer la disposition d’origine1.
1.1. Faire voir virtuellement
construction des savoirstraditionhéritage acteurs de savoirstatutauteur espaces savantscirculationdiffusion espaces savantslieubibliothèqueL’idée de reconstituer cette bibliothèque n’aurait rien eu en soi d’original si, Alain Legros et moi-même, nous nous étions limités à en diffuser les données connues : en l’absence de testament ou d’inventaire après décès, plusieurs listes d’éminents spécialistes avaient répertorié la plupart des exemplaires retrouvés ou signalés, et portant la signature ou au moins une trace autographe de l’auteur2. Nous avions l’intention de les faire voir numériquement et de les disposer sur des étagères virtuelles, à partir d’un espace réel : car si le plafond offre encore au regard les poutres peintes de célèbres sentences grecques et latines, dont certaines sont présentes dans les Essais, la pièce est désormais vide de son mobilier primitif.
acteurs de savoircommunautéinstitution espaces savantslieubibliothèque matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueBien que l’on ne puisse consulter aujourd’hui guère plus d’un dixième de la collection, les fac-similés, éditions ou transcriptions de ce petit corpus sont rassemblés sur le site des Bibliothèques virtuelles humanistes (BVH) de l’Université de Tours, avec un site dédié à Montaigne et des articles qui en exposent les méthodes et les découvertes3. La nouveauté résidait dans la possibilité de montrer ces volumes avec leur numérisation intégrale, de les rendre disponibles en libre accès sur le principe de l’« open science », dans la mesure où les bibliothèques et les propriétaires des documents nous avaient autorisés à le faire4.
pratiques savantespratique lettréeannotation typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophie pratiques savantespratique artistiquelittérature inscription des savoirslivreDepuis les années 2000, l’intérêt pour le contenu des anciennes bibliothèques privées est devenu plus manifeste, au-delà des historiens du livre, chez des spécialistes de littérature et de philosophie, puisque la présence de tel ou tel ouvrage permet en principe d’éclairer le processus de création. Cet intérêt rejoint le développement des études génétiques en renouvelant la vénérable recherche des « sources », sans trop y sacrifier cependant : un livre acheté n’est pas forcément un livre lu, un livre qui présente des annotations n’a pas toujours été un livre inspirant pour l’auteur. A fortiori, un livre que l’on a hérité n’est pas obligatoirement un livre qu’on a envie de lire.
L’étude des livres annotés, réalisée et éditée de façon exhaustive par Alain Legros, montre une relation très étroite entre les lectures (mais pas toutes) et l’écriture des Essais, sans que l’inverse oblige à en tirer des conclusions négatives5. Par exemple, le De animorum natura (1574) de l’obscur médecin Pierre Pichot a certainement été lu par Montaigne même s’il n’est pas cité, comme on peut le constater dans ses réflexions sur la médecine dans les Essais 6.
matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueL’équipe des BVH avait déjà entrepris des recherches (toujours en cours) sur les bibliothèques personnelles de personnages plus ou moins connus, mais la recherche autour de la « librairie » de Montaigne a ceci de particulier qu’elle associe une œuvre majeure qui en parle (les Essais), un étage de tour et une collection incomplète7. Les deux volets de la « bibliothèque » ont pu être publiés en grande partie entre 2010 et 2015, amplifiés et mis à jour depuis : le rassemblement des volumes en version numérique et l’installation virtuelle de livres sur des étagères dans un espace à trois dimensions.
1.2. Dix pour cent
acteurs de savoirprofessionconservateur inscription des savoirslivre espaces savantslieubibliothèqueAvant même le dépôt du projet auprès de l’Agence nationale de la recherche (2011), les recherches d’Alain Legros avaient en 2006 attiré de nouveau l’attention sur certains exemplaires avec signature. Une étape a été franchie quand nous avons pu voir en 2008 à la bibliothèque de l’Université de Cambridge les ouvrages portant la signature de Montaigne, qui faisaient partie du legs Gilbert de Botton jusque-là très difficile d’accès. À l’occasion du colloque Montaigne on the Shelf à Cambridge, nous avons envisagé avec les conservateurs de projeter la numérisation et la mise en ligne des dix volumes les plus importants, dont le De rerum natura de Lucrèce 8.
inscription des savoirsgenre éditorialcatalogue pratiques savantespratique lettréepublicationDans leur publication qui était alors en préparation, Barbara Pistilli et Marco Sgattoni avaient identifié un nouvel exemplaire (le Lexicon graecolatinum d’Henri Estienne à la Bodleian Library) et en avaient localisé un autre (un Gaza de 1495 à la Chapin Library de Williamsburg, USA), en rappelant l’historique de cet accroissement depuis le milieu du 19e siècle. Leur beau catalogue de 2014 (La Biblioteca di Montaigne) intègre en grande partie ce qui a été apporté par les travaux d’Alain Legros et fournit de nombreuses informations sur chaque exemplaire, qui corrigent quelques erreurs et imprécisions des prédécesseurs9.
inscription des savoirsgenre éditorialcatalogue matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueCet historique et les fiches sont à actualiser avec le site Montaigne pour les mises à jour10. Le premier inventaire consistait dans les 18 ouvrages recensés dans la liste initiale de Jean-François Payen en 1847, nombre passé à 81 dans le répertoire de Pierre Villey (1930), puis à 99 dans le catalogue de Francis Pottiée-Sperry et Gilbert de Botton (1997), ainsi que dans Montaigne manuscrit (Legros, 2010) après plusieurs modifications. La Biblioteca en décrit cent ; le décompte dépend non seulement des nouveautés, de l’apparition ou de la réapparition d’exemplaires perdus de vue, mais aussi du dédoublement d’ouvrages en fonction de la présence de la signature sur chacun des volumes, comme pour les Opera de Politien (1545 et 1546). En 2014, le Miroir historial de Vincent de Beauvais (1531) était connu par un catalogue de libraire avant de rejoindre tout récemment le fonds Gilbert de Botton de la bibliothèque de Cambridge 11.
L’avantage d’une version en ligne est de pouvoir intégrer, dès que l’information nous parvient, l’évolution de la recherche. Ainsi, l’édition intégrale des annotations aux Comediæ de Térence de 1538 a été réalisée par Alain Legros pour un exemplaire en mains privées dont il a pu examiner et photographier la totalité12 ; citons encore le César de Périgueux (1575) dont la signature autographe sous ultra-violets a pu être repérée sous une autre signature allographe du 18e siècle, et donc authentifiée. Le Synesius dont il ne reste qu’une page avec la signature incomplète est exclu par la Biblioteca mais authentifié par Alain Legros (2006), car cette page jointe par le Dr Payen au Synesius de Théodore de Bèze est tout de même le témoin d’un livre disparu.
inscription des savoirslivremanuscrit espaces savantslieubibliothèqueLes différences entre la liste présente dans la Biblioteca et nos travaux ne tiennent pas seulement aux réexamens mentionnés, mais aussi aux découvertes postérieures à 2014 comme celles d’Ingrid de Smet, à Wolffenbüttel, d’un cours de droit manuscrit ayant appartenu à La Boétie puis à Montaigne, et, à la Bodleian library, de la signature de Montaigne copiée sur le Premier volume des Illustrations de la Gaulle Belgique, antiquitez du pays de Haynnau et de la grand cité de Belges: à présent dicte Bavay, de Jacques de Guyse. En septembre 2016, nous avons pu de notre côté consulter un exemplaire des Illustrations de Gaule de Jean Lemaire de Belges (1549) à la bibliothèque municipale de Fontenay-le-Comte, alors qu’il était absent des listes antérieures : l’authenticité de la signature ne laisse pas plus de doute que les signatures communément admises et qui n’ont pas toutes été confirmées, elles non plus, par l’analyse spectrographique des encres.
Coïncidence ? Les deux ouvrages intégrés à notre liste ont pour titre Illustrations de Gaule, et Bavay renvoie au nom de Lemaire de Belges. Ils confirment l’intérêt grandissant de Montaigne, à partir du milieu des années 1550, pour les livres d’histoire moderne, alors que sa sortie du collège de Guyenne (1548 ?) et les probables études humanistes à Paris avant le droit à Toulouse l’avaient plutôt orienté vers les textes classiques, surtout latins si l’on en croit les volumes conservés : les acquisitions de 1549 sont le Térence de 1538, Virgile, le César de 1543, Denys d’Halicarnasse. Semblent faire exception le volume composite contenant les Paraphrases des Psaumes par Flaminio et la grammaire grecque de Lascaris, reliés sans doute dès l’origine et parus chez Robert Estienne (1546 et 1548). Montaigne était-il intéressé par ce qui faisait débat au moment de la diffusion du calvinisme, ou seulement par la grammaire grecque ? Ou par les deux ouvrages, publiés par un imprimeur royal penchant vers la Réforme ?
Les auteurs de la Biblioteca ne signalent pas les différents types de signatures utilisés par Montaigne lorsqu’il a abandonné l’ex-libris latin de sa jeunesse ; Alain Legros en a pourtant distingué trois, une répartition importante si l’on désire poursuivre les recherches de datation concernant l’acquisition ou la lecture de ces ouvrages.
1.3. Une bibliothèque inclusive
espaces savantslieubibliothèqueNous entendons par « bibliothèque » l’ensemble des ouvrages ou documents possédés par Montaigne, que ce soit par legs (comme les exemplaires hérités de La Boétie 13) ou par achat, ou parce qu’il en est l’auteur, l’éditeur ou le commentateur, avec ou sans signature. Font partie de cette bibliothèque inclusive tous les volumes conservés jusqu’à aujourd’hui qui devaient se trouver dans ce lieu, la « librairie » au sens de l’époque. Parmi eux, l’irremplaçable « Exemplaire de Bordeaux » (EB), trésor national retrouvé au château de Montaigne et conservé à la bibliothèque Mériadeck : cet exemplaire de l’édition de 1588 offre des milliers d’additions et corrections autographes pour la préparation d’une nouvelle édition14. Dans la « librairie » également, l’Ephemeris historica de Beuther (1551), sorte de calendrier perpétuel servant de « livre de raison » à Montaigne et à sa famille par la consignation des événements notables. Enfin, l’exemplaire des œuvres de La Boétie éditées par Montaigne en 1571 (avec signature). Pour le « Mémorial » (un livre de comptes de la famille Montaigne dont il ne reste plus que la couvrure), daté de 1568 avec une mention autographe, on ne peut décider avec certitude s’il a eu son coin d’étagère dans la « librairie » ; il est toutefois probable que Montaigne l’a emporté de la maison familiale de Bordeaux au château, tout comme le Beuther, et si l’on inclut ce dernier dans la liste, le Mémorial doit l’être aussi. En revanche, le fragment des actes de propriété de la famille Montaigne conservé à Cambridge, et dont le tertrier se trouve à la bibliothèque Mériadeck, est absent jusqu’ici de nos deux listes : il devrait rejoindre la catégorie des « documents » dans un autre onglet du site.
matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueWeb matérialité des savoirssupportinfrastructure numérique inscription des savoirslivremanuscritLe projet global, plus large que la restitution de la bibliothèque, incluait des documents qui n’ont peut-être jamais fait partie de la « librairie » proprement dite : les 47 arrêts rédigés ou signés par Montaigne lorsqu’il siégeait au parlement de Bordeaux, ses 32 lettres conservées, son contrat de mariage, des dédicaces, etc., qui relèvent davantage des sources documentaires relatives à l’écrivain. Toutefois, tout ce qui est manuscrit s’est avéré précieux pour établir ce qui est « de la main » de Montaigne, pour authentifier de possibles contrefaçons ou calques de sa signature ou de son écriture. Enfin, même si le manuscrit original du Journal de voyage, retrouvé au château et édité au 18e siècle, a été perdu depuis, la « copie Leydet » que nous avons pu mettre en ligne offre une version jusque-là inédite de ces récits de voyageurs qui n’étaient pas destinés à la publication15. Avec d’autres textes disparus, le Journal autographe fait partie des « fantômes ».
1.4. La disposition des « pupitres »
matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueReconstruire en 3D la bibliothèque garnie de livres virtuels semblait envisageable du fait du développement significatif de cette technologie, tant dans l’imagerie médicale que dans les jeux vidéo. Puisqu’il était possible de modéliser des vestiges de Karnak au temps de sa splendeur, la même chose devait l’être pour la « librairie ».
Partant de ce qui était accessible et réalisable avec les fonds disponibles, nous avons demandé à l’équipe bordelaise Archéovision (qui avait étudié Karnak), partenaire de l’entreprise, de reprendre et de compléter les calculs effectués lors d’un premier essai de reconstitution en 2002 pour le plafond16.
construction des savoirsépistémologiedonnées massives matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueplateforme espaces savantslieubibliothèqueMais comment cette bibliothèque était-elle agencée ? La question peut paraître triviale ou sans beaucoup d’importance, et pourtant Montaigne a insisté sur la disposition des étagères, sur la façon d’associer le « libre prospect » (la vue dégagée sur la campagne) et la contemplation des livres. Comme l’espace est percé de trois fenêtres qui n’ont pas été ajoutées depuis, et que la partie non courbe était occupée par une table (voir ill. p. 82), la reconstitution devait tenir compte de ces données matérielles qui ont peut-être conditionné un éventuel classement thématique des ouvrages.

Bien entendu, les livres représentés en 3D ne correspondent qu’en partie à la réalité ; nous avons photographié et dupliqué les volumes conservés à Bordeaux parce que la plupart du temps ils avaient encore leur reliure d’origine, et nous avons complété avec la collection de livres anciens du CESR présentant la même particularité. Pour la texture des montants, de la corniche et des étagères, ce sont des boiseries sobres qui imitent celles de l’époque17.
matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueWeb inscription des savoirslivremanuscritLes meubles devaient autant que possible correspondre à la description que Montaigne fournit dans le chapitre « De trois commerces » des Essais, avec deux rédactions différentes d’un même passage. L’une est manuscrite et complète une célèbre remarque du texte de 1588 dans « De la presumption » : « Ma librerie, qui est des belles entre les libreries de village, est assise a un coin de ma maison »18. L’Exemplaire de Bordeaux la prolonge dans une addition rédigée entre 1588 et 1592. La voici transcrite d’après l’original (voir ill. p. 85, en haut) :
![Figure 2. Exemplaire de Bordeaux, 1588, 3,
f. 362r [=370r], détail (coll. Bibliothèque Mériadeck de
Bordeaux). Cliché Gallica](https://didomena.ehess.fr/downloads/0g354p88x.jpg)
pratiques savantespratique lettréecitation« [lignes rognées] couche […] maison. Je passe la et la plus part des jours de ma vie et la plus part des hures du jour. Je n’y suis jamais la nuit. A sa suite est un cabinet asses poli, capable a recevoir du fu [feu] pour l’hiver, tresplaisammant percé. Et si je ne creignois non plus qui le soin que la despance: le soin qui me chasse de toute besouigne: j’ye pouvois facilemant coudre a chaque coste une galerie de cent pas de long et vintdouse de large, a plain pied, aïant trouve tous les murs montez a la pour autre usage, a la hauteur qu’il me faut. Tout lieu retirè requiert un promenoir. Mes pensees dorment si je les assis. Mon esperit ne va si les jambes ne l’agitent. Ceus qui estudient sans livre en sont tous la. La figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut a ma table et a mon siege. et vient m’offrant en se courbant, d’une veue, tous mes livres, rengez a cinq degrez tout a l’environ. Ell’a trois veues de riche et libre prospet, et sese [seize] pas de vuide en diamettre »19.
construction des savoirsvalidationtémoignageCette rédaction est elle-même complétée par l’édition posthume de 1595, seul témoin de ce qui a été rogné par le relieur20, sans que nous puissions affirmer qu’il s’agissait exactement du même texte :
« Elle est au troisiesme estage d’une tour. Le premier, c’est ma chapelle, le second une chambre & sa suitte, où je me couche souvent, pour estre seul. Au dessus, elle a une grande garderobe. C’estoit au temps passé, le lieu plus inutile de ma maison. Je passe là & la plus part des jours de ma vie, & la plus part des heures du jour. Je n’y suis jamais la nuict. A sa suitte est un cabinet assez poly, capable à recevoir du feu pour l’hyver, tres-plaisamment percé. Et si je ne craignoy non plus le soing que la despense, le soing qui me chasse de toute besongne : j’y pourroy facilement coudre à chasque costé une gallerie de cent pas de long, & douze de large, à plein pied: ayant trouvé tous les murs montez, pour autre usage, à la hauteur qu’il me faut. Tout lieu retiré requiert un proumenoir. Mes pensees dorment, si je les assis. Mon esprit ne va pas seul, comme si les jambes l’agitent. Ceux qui estudient sans livre, en sont tous là. La figure en est ronde, & n’a de plat, que ce qu’il faut à ma table & à mon siege : & vient m’offrant en se courbant, d’une veuë, tous mes livres, rengez sur des pulpitres à cinq degrez tout à l’environ. Elle a trois veuës de riche & libre prospect, & seize pas de vuide en diametre »21.
inscription des savoirslivreNon seulement cette édition précise la répartition des livres en ajoutant « sur des pulpitres », mais elle informe sur l’affectation de cette pièce avant que Montaigne n’y installe ses livres : une « grande garde-robe », nous dirions maintenant un débarras qui avait, semble-t-il, déjà des étagères fixées aux murs « montez pour autre usage ». Garderobe était aussi le nom du lieu où l’on plaçait la « chaise percée », sens que l’on trouve dans les six autres emplois des Essais 22 et que Montaigne n’exclurait pas, si l’on tient compte de ce qu’il dit de son livre dans « De la vanité » : « ce sont ici, un peu plus civilement, les excrements d’un vieil esprit »23.
espaces savantslieumonastère espaces savantslieubibliothèqueOr « cinq degrés » ne peuvent pas correspondre à la disposition médiévale de ce que l’on appelait, pour les bibliothèques des princes, des monastères et des universités, des « pupitres » où étaient enchaînés les livres, avec seulement deux ou trois étagères inférieures, la supérieure (le pupitre au sens restreint) étant inclinée de façon à permettre le travail assis sur un banc en face. Pour cette raison, et parce que Montaigne était un noble lettré moderne, peu susceptible de reconduire le modèle médiéval, nous avons d’abord pensé que ce terme de pupitres ajouté dans la toute dernière rédaction était un synonyme d’étagères, solution adoptée lorsqu’il a fallu donner des instructions claires aux spécialistes de la 3D pour une visualisation accessible en ligne depuis 2015.
construction des savoirsvalidationtémoignage espaces savantslieubibliothèqueIl restait cependant un doute, parce que cette synonymie serait un hapax et Montaigne le seul à employer pupitres de cette façon. Pourquoi aurait-il inséré cette précision, car degrés, signifiant aussi à l’époque une étagère (d’un dressoir par exemple), pouvait suffire ? J’ai d’abord cru que pupitres pouvait référer à des lutrins mobiles posés sur une table ou sur l’étagère de deuxième niveau, pour la consultation des livres de grand format comme cela se voit encore dans certaines bibliothèques. Les témoignages d’anciens visiteurs, qui attestent tous de la disparition des livres, n’aident pas beaucoup sur le sujet24. Bouquier est le seul à mentionner des inscriptions sur le chant de ces rayonnages (« on voit sur leur épaisseur des inscriptions grecques et latines, presque toutes effacées. J’en ai déchiffré quelques-unes, tirées de Virgile et de Sénèque le tragique »)25. Il semble que ce soient aussi des sentences, non des étiquettes de classement, qu’il aurait été hasardeux de replacer.
Soulignons que Montaigne a rédigé cette description en deux phases, postérieures à son voyage en Italie, ce qui a ici son importance car il a visité la Bibliothèque Vaticane le 6 mars 1581. Un passage du Journal de voyage éclaire ce qu’il entend par pupitres, seule autre occurrence que l’on connaisse dans ses écrits. Je reprends ici la « copie Leydet » manuscrite (1771 ; voir ill. p. 85, en bas), transcrite par Alain Legros :

« 6 mars. je fus voir la librairie du vatican qui est en cinq ou six salles tout de suite il y a un gr. nombre de livrres [sic] attachès sur plus. raïes de pupitres il y en a aussi dans des coffres qui me furent tous ouverts »26.
inscription des savoirslivreéditionElle me paraît plus fiable que l’édition Meunier de Querlon (1774), qui présente une leçon légèrement différente :
« Le 6 de Mars, je fus voir la Librerie du Vatican, qui est en cinq ou six salles tout de suite. Il y a un grand nombre de livres atachés sur plusieurs rangs de pupitres ; il y en a aussi dans des coffres, qui me furent tous ouverts »27.
espaces savantslieubibliothèqueJ’ai mis en italiques les deux termes distincts, raïes et rangs, car l’édition change le sens de ce qui est fourni par la copie Leydet : raïesveut dire primitivement case, alvéole, puis rayon. D’après les historiens de la Bibliothèque Vaticane, on sait que la disposition médiévale de la grande salle de lecture publique, en pupitres alignés en rangs et avec des coffres à leur bout, était encore celle que Montaigne avait vue. Le déménagement de la salle et le démontage des pupitres ne se feront qu’à partir des années 1590.
espaces savantslieubibliothèqueGrâce à la leçon Leydet, on peut donc paraphraser autrement la description de la Vaticane : « attachés sur plusieurs rayons de pupitres », c’est-à-dire « attachés à plusieurs étagères de meubles-pupitres » ; « sur des pupitres à cinq degrés » serait alors à traduire par « sur des meubles-pupitres à cinq niveaux ». En effet, il n’y avait pas encore de nom précis pour ce que nous nommons « bibliothèque » au sens d’ensemble d’étagères. On disait « pupitre » ou « tablettes », comme en témoigne encore le Dictionnaire de Furetière (1690)28.
espaces savantslieuuniversité inscription des savoirslivre espaces savantslieubibliothèqueJe n’abandonne pas néanmoins l’idée que l’un des rayonnages (celui qui permet d’écrire debout) soit une « tablette disposée en pulpitre », comme on en voit dans la bibliothèque de l’Escorial, la première à abandonner les pupitres médiévaux (1563). Comme l’a résumé André Masson dans Le décor des bibliothèques, le milieu du 16e siècle voit précisément se répandre l’usage des étagères murales à cinq niveaux ou davantage29. Malheureusement, aucune gravure ne montre ce que pouvait être cette disposition dans une bibliothèque privée. La plupart représentent une ou deux étagères attachées au mur dans les chambres d’étude des savants, comme dans celle où l’on voit Calvin feuilletant ses livres, sans que, pour autant, l’usage de la tablette inclinée en écritoire ait disparu (voir ill. p. 88, à gauche). La gravure d’après Woutens, souvent reproduite et représentant la salle de la bibliothèque universitaire de Leyde (1610), montre des pupitres avec une étagère au-dessus de la tablette inclinée (voir ill. p. 88, à droite). Le titre de la gravure contient même le mot « pulpitis »30.


matérialité des savoirsmobilierpupitreSi l’on adoptait l’idée que pupitres dans les Essais désigne plusieurs meubles-bibliothèques attachés au mur, il faudrait visualiser autrement en 3D : non pas deux grands meubles à trois sections chacun (plus un, isolé sur le pan de mur plus étroit), comme nous l’avons fait, soit sept sections en tout, mais quatre meubles moins larges, de deux sections chacun pour les pans de mur les plus larges, ce qui donne le même nombre de sections en tout sur cinq niveaux. Cette nouvelle division permettrait d’atténuer le problème de la courbure du mur qui a dû se poser au menuisier.
Il est en outre remarquable que, compte tenu du périmètre de mur disponible, le millier de livres déclaré par Montaigne est à peu près ce qui tiendrait sur ces étagères virtuelles (entre 1 000 et 1 400 suivant la densité et la proportion de petits formats). Cette correspondance renforce le caractère vraisemblable, à défaut d’être certain, de cette autre hypothèse, où la présence d’un niveau avec tablette inclinée supportant des livres ouverts au feuilletage ou à l’annotation irait dans le sens d’un Montaigne en mouvement dans sa bibliothèque, comme il se décrit écrivant ou dictant ses pensées qui « dorment » s’il les « assit ». La promenade dans ce lieu recourbé engage une relation corporelle avec l’écriture, avec les livres et avec cet « écrivant » qu’est le secrétaire anonyme. La disposition n’est pas étrangère à la composition.
1.5. Fantômes
inscription des savoirslivre typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire espaces savantslieubibliothèqueLa bibliothèque fantôme est d’abord celle que l’on peut déduire de l’usage par Montaigne des écrits d’autrui dans les Essais, par citation, allusion, paraphrase ou traduction. On pourrait aller encore plus loin rétroactivement en imaginant ce que Montaigne a pu lire avant ses premiers achats vers quinze ans. Et où étaient ses livres avant l’aménagement de la bibliothèque ? Du côté du futur, il serait instructif de retracer l’historique des possesseurs et annotateurs ultérieurs de la bibliothèque dispersée, ce que l’on sait par les ex-libris, travail qui regarde la réception d’ouvrages très divers et qui complèterait la liste des localisations des exemplaires des Essais. Trois pistes au moins restent encore à explorer, dans des projets collectifs : proposer une liste de ces livres fantômes, rechercher les traces des bibliothèques auxquelles Montaigne a pu avoir accès du temps de ses études, continuer les recherches sur les possesseurs et annotateurs connus ou inconnus – la toute première pourrait être la fille de l’auteur, Léonor, qui était aussi sa légataire. Son écriture a été identifiée sur trois livres, dont le dernier a été repéré par Malcolm Walsby à la fin de 2014 à Metz 31.
acteurs de savoirprofessionécrivain inscription des savoirsgenre éditorialessaiL’intertextualité des Essais est particulièrement riche : elle se signale parfois grâce à une simple allusion laissée à la seule sagacité du lecteur, souvent par une citation ou une paraphrase d’un texte dont l’auteur est rarement mentionné. La bibliothèque personnelle de Montaigne n’est pas seulement reconstituable à partir des livres retrouvés : la liste établie par Pierre Villey au début de son édition et ses notes proposaient déjà un ensemble de livres supposés possédés par l’écrivain32. Par l’ajout de ce que les éditeurs et les spécialistes de Montaigne ont établi comme sources probables, la bibliothèque de fantômes se dessine un peu plus précisément. Un projet de bibliothèque étendue pourrait relier les citations des Essais aux ouvrages potentiels d’où elles sont tirées.
Certains ouvrages sont d’ailleurs moins fantômes que d’autres, parce que Montaigne parle explicitement des exemplaires qu’il possédait, comme son Commines ou son Tacite, jamais retrouvés. La difficulté de savoir quelles sont les éditions utilisées semble insurmontable pour les auteurs très connus : quel(s) Cicéron ? quel(s) Platon ? quel(s) Aristote ? quel(s) Sénèque ? Est-il revenu à ces classiques lorsqu’il a terminé ses études, ou les a-t-il laissés où ils étaient pour n’y revenir que de mémoire ?
matérialité des savoirssupportsupport de communicationjournal inscription des savoirslivremanuscritLe manuscrit bordelais de la Servitude volontaire n’a jamais pu prendre place sur une étagère dans la bibliothèque, mais Montaigne avait forcément eu un autre manuscrit entre les mains, actuellement perdu. Le nouveau témoin, en ligne et édité, est une copie de 1605 33. Parmi les fantômes encore, le manuscrit original du Journal de voyage, comme on l’a vu. Il faut aussi compter au moins un autre exemplaire de l’édition de 1588, annoté et constituant l’« archetypum », et une mise au net par un secrétaire, qui ont servi à Marie de Gournay à établir l’édition de 1595 puis celle de 1598. En effet ces éditions, préparées et réalisées, se fondaient au moins sur un manuscrit autographe des Essais annoté, mais différent de l’Exemplaire de Bordeaux, et une copie. On imagine aussi que Montaigne a conservé dans sa « librairie » un ou plusieurs exemplaires de sa traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond, des premières éditions des Essais (1580 et 1582), également annotés, envoyés chez l’imprimeur et détruits comme les brouillons.
espaces savantslieucollège inscription des savoirslivre construction des savoirséducationEncore moins saisissable que la bibliothèque réelle disparue avec ses fantômes est cet ensemble de livres que Montaigne a au moins consultés sinon lus, avant même d’avoir suffisamment d’indépendance pour commencer sa propre collection. Pendant son éducation domestique jusqu’à son entrée au collège de Guyenne (1539), peu d’ouvrages devaient être disponibles au château ; du moins n’en savons-nous rien. Les livres conservés qui sont contemporains de sa jeunesse (avant 25 ans, en 1558) et qui ne viennent pas de La Boétie (mort en 1563) sont au nombre de 18. Ces lectures « préquelles » (celles de l’avant-histoire de la « librairie ») incluraient ce que l’on sait des livres accessibles aux élèves du collège, notamment les fonds que les précepteurs ou professeurs de Montaigne pouvaient mettre à leur disposition : les plus importants seraient ceux de Marc Antoine Muret et d’Élie Vinet, dont nous avons des catalogues ou inventaires, et de nombreux exemplaires portant leurs ex-libris.
1.6. Literatores et Historici
matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueSur la restitution, rien n’apparaît pour guider parmi les livres l’internaute qui manipule la 3D. Même si nous ne nous sommes pas risqués à étiqueter les rayonnages, on peut tirer quelques enseignements de ce que disent les Essais, et tous les critiques se sont plus ou moins exercés à ce classement. En effectuant une répartition à partir de 100, puis de 376 titres possibles ou probables, j’ai divisé virtuellement la bibliothèque d’après ce que Montaigne en dit dans « Des livres » (II, 10), où il esquisse une sorte de classement, soit, par ordre d’importance : l’histoire, les belles lettres, les sciences, la philosophie et les trois disciplines majeures, le droit, la médecine et la théologie, ce qui fait sept sections34.
construction des savoirsvalidationtémoignage pratiques savantespratique intellectuelleclassement inscription des savoirsgenre éditorialinventaireLes inventaires des bibliothèques médiévales appliquaient déjà des classements de livres, la plupart du temps dans une répartition qui correspondait aux sept arts libéraux et aux trois facultés, les déclinant parfois de façon très détaillée comme dans l’inventaire des Du Prat 35. La Croix du Maine, contemporain de Montaigne, prévoyait aussi de répartir ses « buffets » selon sept grandes divisions qui témoignent du changement sensible dans les intérêts d’un humaniste éclectique : sacré / arts et sciences / univers / genre humain / hommes illustres en la guerre / Dieu / mélanges et mémoires36. Ma préférence irait toutefois vers un classement général, plus proche de ce qu’indiquent les Essais.
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences des religions typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophie pratiques savantespratique artistiquelittérature acteurs de savoirprofessionécrivainUne répartition en six ou sept sections correspond assez bien à ce que l’on voit sur l’Ichnographia de Woutens pour la bibliothèque de Leyde qui montre un étiquetage des matières, pupitre par pupitre (voir ill. p. 88, à droite) : Mathematici (1) – Philosophi (2) – Literatores (2) – Theologi (6) – Historici (4) – Medici (2) – Jurisconsulti (5). Pour Montaigne, regroupons Mathematici et Medici, assez peu nombreux du reste, et divisons les Literatores entre ceux qui font la littérature, les écrivains, et ceux qui en parlent (les rhétoriciens et les orateurs). Dans ce que j’avais montré lors du colloque de Pise sur les bibliothèques de philosophes, j’avais calculé que si l’on ne tenait compte que des cent livres authentifiés (à l’époque), le nombre de Literatores excédait de peu les Historici (24/22), alors que pour les 376 (conservés et fantômes) c’était l’inverse (121/134, 32% contre 35%) ; on est encore loin des mille. La part de la théologie baisse un peu (de 9 à 7%), comme celle des sciences, au contraire de la philosophie qui augmente d’autant (de 11 à 13%). Je doute que ces petites statistiques prouvent quoi que ce soit, même si les proportions entre les disciplines restent en gros les mêmes ; si nous découvrions un jour un inventaire en bonne et due forme de la bibliothèque laissée par Montaigne à sa fille, il comprendrait sans doute des ouvrages auxquels nous n’aurions jamais pensé.
1.7. Conclusion : de la « garderobe » à la « librairie »
espaces savantslieusalle de lecture espaces savantslieubibliothèqueLes incertitudes qui entourent encore cette célèbre bibliothèque laissent la place à différentes solutions de reconstitution, par comparaison ou contraste avec ce qui existait à la même époque. La Bibliothèque Vaticane créée par Sixte IV à la fin du 15e siècle comprenait une grande salle de lecture publique à pupitres, et deux autres « secrètes » à armoires, dont l’une communiquait avec la « guardarobba del papa », encore du temps de Montaigne ; les livres les plus précieux y étaient conservés, non loin de la section des hérétiques. En aménageant sa « librairie », Montaigne a pu faire jouer les deux sens extrêmes de garderobe et s’amuser de l’ironie qui applique à une pièce « inutile » l’activité littéraire qu’il qualifie de « vaine » sans être pour autant hérétique, infiniment précieuse comme il en donne la preuve.
Les différents témoignages ont été transcrits et commentés par Alain Legros, dans Essais sur poutres. Peintures et inscriptions chez Montaigne, Paris, Klincksieck, 2000, p. 39 et suiv.
À ce que l’on sache, Montaigne n’a pas fait relier les ouvrages de sa bibliothèque avec son nom ou à ses armes. Bien qu’il dise que ses premiers achats avaient été guidés par un certain désir d’ostentation, cette pratique courante chez les aristocrates et bourgeois lettrés de l’époque n’apparaît pas sur les exemplaires conservés.
Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR) : https://www.bvh.univ-tours.fr et http://montaigne.univ-tours.fr. Un état des lieux, désormais dépassé, a été publié en 2015 par Marie-Luce Demonet, « Éphémérides de la bibliothèque de Montaigne », in Alexandre Vanautgaerden, Rosanna Gorris Ramos (éd.), Les labyrinthes de l’esprit : collections et bibliothèques à la Renaissance, actes du colloque organisé par Philip Ford, Cambridge 2012, Genève, Droz, 2015, p. 131-153.
Quelques établissements ont aussi mis en ligne des éléments de cette collection : sur Gallica pour la BnF, sur Séléné pour la bibliothèque Mériadeck de Bordeaux, sur le site de l’Université de Cambridge – pour les trois fonds les plus importants. Le financement a toutefois été assuré en grande partie par l’Agence nationale de la recherche (projet MONLOE-Montaigne à l’Œuvre et équipement d’excellence Biblissima), la Bibiothèque numérique du ministère de la Recherche, la Région Centre, les crédits européens FEDER, le ministère de la Culture et de la Communication, la MSH Val de Loire, le consortium CAHIER (TGIR Huma-Num), le personnel du Centre d’études supérieures de la Renaissance à Tours (CNRS) et l’Institut universitaire de France.
Alain Legros, Montaigne manuscrit, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 135-652 (« Annotations de Montaigne lecteur »)
Alain Legros, « La vie et l’œuvre d’un médecin contemporain de Montaigne, Pierre Pichot », in Revue française d’histoire du livre, 92-93, 1996, p. 361-74 ; Marie-Luce Demonet, « La place de philosophes mineurs dans la bibliothèque de Montaigne : Pichot et La Primaudaye », in Philip Ford (éd.), La librairie de Montaigne, actes du colloque de Cambridge 2008, Cambridge French Colloquia, 2012, p. 59-79.
Pour Rabelais, le travail est toujours en cours et a pu bénéficier de découvertes récentes, sans qu’il soit possible d’exploiter de lieu particulier dédié aux livres. Voir les recherches d’Olivier Pédeflous, Romain Menini et Claude La Charité dans « L’Atelier du XVIe siècle » dirigé par Mireille Huchon (Sorbonne Université).
Voir aussi Silvio S. Baridon, Inventaire de la bibliothèque de Pontus de Tyard, Genève-Lille, Droz-Giard, 1950 ; François Roudaut, La bibliothèque de Pontus de Tyard. Libri qui quidem extant, Paris, Classiques Garnier, 2008.
Pour Ronsard, voir François Rouget, « Ronsard, Amyot, et les Vies des hommes illustres de Plutarque (Paris, M. de Vascosan, 1565) : un nouveau livre de la bibliothèque ronsardienne », in Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 2019, p. 333-340.
Michael A. Screech, Montaigne’s annotated copy of Lucretius ; a transcription and study of the manuscript, notes and pen-marks, Genève, Droz, 1998. Transcription complète établie par Alain Legros dans l’édition de la Pléiade (2007), mise à jour sur le site Montaigne.
Pise, Scuola Normale, 2014
Disponible sur https://montaigne.univ-tours.fr/centaine-de-livres/#catalogue
Vente Aristophil, mai 2018. L’exemplaire ne présente aucune annotation selon Jean Balsamo qui a pu le regarder en détail.
Alain Legros, « Térence annoté par Montaigne », introduction, notice, en ligne sur le site Montaigne le 09.03.2014 ; éditions au format pdf : diplomatique, régularisé, traduit et commenté ; en ligne le 11.03.2014.
Alain Legros, « Dix-huit volumes de la bibliothèque de La Boétie légués à Montaigne et signalés par lui comme tels », in Montaigne Studies, 25, 2013, p. 177-188. Ces découvertes collatérales nous ont été reprochées…
Le ministère de la Culture et la Ville de Bordeaux constituent actuellement un dossier de candidature de cet exemplaire au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO.
BnF, manuscrit Périgord 106, en ligne sur le site des BVH avec sa transcription : http://www.bvh.univ-tours.fr/Consult/index.asp?numfiche=1291 ; Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie, avec les notes de Meunier de Querlon, Rome et Paris, Le Jay, 1774.
Le travail de restitution des inscriptions sur les poutres de la « librairie » et dans le cabinet attenant a permis à Alain Legros de retrouver deux nouvelles sentences en palimpseste ; de même, l’inscription qui dédiait la bibliothèque à La Boétie et courait tout au long de la corniche des étagères, selon deux témoins du 18e siècle (l’abbé Prunis et l’inspecteur des manufactures Latapie), a pu être ainsi restaurée. Voir Alain Legros, « Travail de deuil et art de vivre : les deux inscriptions votives de la tour de Montaigne », in Montaigne Studies, 11, 1999, p. 137-154.
Accès aux reconstitutions : http://www.bvh.univ-tours.fr//MONLOE/3D/montaigne_01/librairie.html
1588-EB, II, 17, f. 286v. Les références aux Essais suivent le texte d’EB dans l’édition numérique génétique en trois formats (HTML / XML-TEI / PDF) réalisée par Marie-Luce Demonet et Alain Legros, novembre 2014 (accessible sur le site des BVH ou sur HAL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01337873).
1588-EB, III, 3, f. 362r [=370r]
La restauration récente de l’exemplaire a permis de confirmer que l’épouse de Montaigne, Françoise de La Chassagne, en a fait cadeau au couvent bordelais des Feuillants dans les années 1610, l’habillant d’une nouvelle reliure (antérieure à celle que l’on voit actuellement) qui, avec la dorure sur tranche, a réduit les marges et provoqué la disparition irréversible de nombreux mots et de lignes entières des additions autographes. Une visualisation en 3D de l’exemplaire, reliure défaite, serait instructive.
Les Essais, Paris, L’Angelier, 1595, III, 3, p. 29. L’édition numérique de l’exemplaire d’Anvers est en cours.
La tour était pourtant munie de latrines médiévales, toujours en place (voir Anne-Marie Cocula et Alain Legros, Montaigne aux champs, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 2011, p. 117). Les gens de qualité préféraient la chaise dans la garderobe.
III, 9, 1595, p. 110 ; 1588-EB, f. 416r (=424r)
Prunis (1770) dit qu’il ne reste plus que des « planches pourries », Latapie (1778), Bernadau (1797) et le comte de Caila (1801) parlent de « tablettes », Bouquier et Bertrand de Saint Germain (1861) de « rayons ». Galy et Lapeyre (1861) déclarent que les livres sont « sur des pupitres à cinq degrés, distants les uns des autres d’un pied et demi [50 cm] environ » (in A. Legros, Essais sur poutres, op. cit., p. 494). Ils n’ont fait que recopier l’expression utilisée par Montaigne, en précisant la distance d’une étagère à l’autre. Les inventaires après décès indiquent parfois les meubles où les livres ont été trouvés : coffres, écritoires, et aussi pupitres (inventaire du parlementaire parisien mort en 1558, Guillaume Bourgoing, en cours de publication, aimablement transcrit et transmis par Brigitte Colas).
Gabriel Bouquier, in A. Legros, Essais sur poutres, op. cit., p. 477
Copie Leydet, fichier cité, f. 58r
Meunier de Querlon, édition citée, p. 147
Pulpitre. Petit meuble de bois fait d’un ais incliné sur un rebord qui l’arreste par le bas. Il est propre à soûtenir un livre, et commode aux estudians. Il y a des pulpitres portatifs qu’on peut mettre auprés du feu. Dans les grandes Bibliotheques il y a toûjours quelque tablette disposée en pulpitre […]
Tablette. Assemblage de plusieurs ais ou de planches en divers rangs propres pour mettre des livres, des curiositez, ou autres choses qu’on veut garder et arranger. Dans cette Bibliotheque il y a 20 tablettes ou armoires de livres. Chaque armoire a six tablettes, ou planches et rangées de livres. Les livres in octavo se mettent dans les hautes tablettes ; ceux in folio dans les basses. Voilà la tablette des Scholastiques, voilà celle des Historiens de France, voilà celle des Humanistes.
Le Dictionnaire françois-latin de Jean Nicot (Paris, Jacques Du Puys, 1584) définit le meuble ainsi : « Poulpitres ou armoires à mettre livres, plutei ».
Histoire générale d’Espagne, par Louis Turquet de Mayerne, Lyon, Jean de Tournes, 1587. La main de Léonor se voit aussi sur le Beuther et sur la réédition de la Théologie naturelle traduite par Montaigne (Rouen, Romain de Beauvais, 1603), conservée à Harvard. Voir les détails dans A. Legros, « La griffe de Léonor : un nouvel autographe de la fille de Montaigne », in Montaigne studies, 28, 2015, p. 197-204.
bibliotheca lugduno-batava cum pulpitis et arcis vera ixnographia, 1610. L’ichnographie (terme emprunté à Vitruve) est en principe une représentation plane ; ce serait plutôt ici une « scénographie » (en perspective).
Histoire générale d’Espagne, par Louis Turquet de Mayerne, Lyon, Jean de Tournes, 1587. La main de Léonor se voit aussi sur le Beuther et sur la réédition de la Théologie naturelle traduite par Montaigne (Rouen, Romain de Beauvais, 1603), conservée à Harvard. Voir les détails dans A. Legros, « La griffe de Léonor : un nouvel autographe de la fille de Montaigne », in Montaigne studies, 28, 2015, p. 197-204.
Les Essais, édition de Pierre Villey et Verdun-L. Saulnier, Paris, PUF, 1965
Alain Legros, « Le manuscrit Mériadeck (Bibliothèque de Bordeaux-Mériadeck : Ms. 2199) », in John O’Brien, Marc Schachter (éd.), La première circulation de la Servitude volontaire en France et au-delà, Paris, Champion, 2019, p. 425-448
Marie-Luce Demonet, « Donner à lire la “librairie” philosophique probable de Montaigne : le projet “Montaigne à l’œuvre” », in Renzo Ragghianti, Alessandro Savorelli (éd.), Biblioteche filosofiche private : strumenti e prospettive di ricerca, Pise, Scuola normale superiore, 2014, p. 97-111
Madeleine Connat et Jacques Mégret, « Inventaire de la bibliothèque des Du Prat », in Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 3, 1943, p. 72-128
François La Croix du Maine (sieur de Grudé), Desseins, ou projects pour dresser une Bibliotheque, parfaicte & accomplie de tous poincts, Paris, [s. n.], 1583. Voir François Roudaut, « Classements et bibliothèques à la Renaissance. Quelques éléments », in Babel, 6, 2002, p. 1-15.