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typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophie typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie Depuis plus d’une dizaine d’années, Albert Piette travaille à renouveler les méthodes et les concepts de l’anthropologie. Cette refondation s’appuie sur ses propres travaux empiriques, notamment sur le religieux, sur l’usage de méthodes plus pointillistes comme la photographie ou la description des détails, ainsi que sur des hypothèses relatives à la différence entre Sapiens et Néandertal. Les nouvelles propositions de travail qu’il avance empruntent souvent à la philosophie comme moyen d’une réflexion épistémologique, mais aussi parfois à la métaphysique, osons le terme. C’est pourquoi je me propose de discuter en philosophe son ouvrage Contre le relationnisme. Lettre aux anthropologues 1. Il ne s’agit pas de réactiver la pratique philosophique de la science ultime couronnant les autres disciplines grâce à une réflexivité plus radicale, mais de suivre la démarche de Piette dans ses motivations profondes qui, comme il l’admet lui-même, l’oblige à passer par la philosophie.
L’idée d’un sujet autonome se fondant lui-même est depuis longtemps déconstruite et les présupposés des métaphysiques humanistes ont été mis au jour. Malgré la contre-révolution idéaliste et moralisatrice2 qu’elles ont suscitée, les discussions de Claude Lévi-Strauss ou Michel Foucault sur l’humanisme et le sujet restent des acquis constitutifs de notre situation intellectuelle. L’illusion de l’autonomie absolue conduisant à penser la vie sociale à partir d’atomes a été largement discréditée par les différentes sciences sociales manifestant l’inclusion des individus dans des collectifs linguistiques, épistémiques, politiques et culturels. Un tel discrédit n’interdit pas de repenser la subjectivité en tant que souci de soi comme chez le dernier Foucault (1984) ou comme agent capable d’un discours sur soi comme chez Vincent Descombes (2004). Albert Piette nous propose maintenant d’articuler inclusion et singularité.
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessociologie Albert Piette s’oppose radicalement à la réduction de l’anthropologie à la sociologie, discipline qu’il juge trop généraliste et impuissante à retrouver les présences singulières qui font la vie des individus humains et non humains. La sociologie accorderait une place trop importante aux relations qui font les individus et « contaminerait » l’anthropologie qui se doit d’être un discours sur l’humain tel qu’il est, une existence située, une existence singulière, qui bien que située ne se réduit pas à ce que les différentes situations traversées font de lui. Pour s’opposer à la sociologie et aux sciences sociales relationnistes en général, Piette n’invoque pas, tel Mauss (1985 [1950] : 290)3, la psychologie en tant qu’étude de la conscience irréductible au collectif. Comme il le montre dans sa Méditation pessoanienne (2014a), dont le sous-titre éclaire parfaitement le projet – Science de l’existence et destin de l’Anthropologue –, la prise de conscience de la contingence sous la modalité de la solitude angoissée dessine le destin de tout humain éprouvant son irréductibilité fondamentale par rapport à tout collectif. Loin d’être une exploration des différences et ressemblances entre les cultures, l’objectif de l’anthropologie est alors de décrire des singularités humaines irréductibles. L’enjeu du travail de refondation de l’anthropologie est donc le suivant : revenir à l’individu singulier et à sa primauté sans perdre les acquis de la critique des philosophies du sujet remises en cause au nom de collectifs dépassant les individus.
1.1. La connaissance du singulier
Prendre les présences singulières comme objet d’étude n’est pas nécessairement original en soi. Albert Piette avait inscrit initialement ses recherches dans la lignée des travaux de Bruno Latour et dans la proximité de la sociologie pragmatique. La critique du point de vue des sujets n’est pas tenue pour massivement illusoire car il s’agit de rendre compte en détail de ce qui est expérimenté et dit par les acteurs, quitte à peupler l’anthropologie d’êtres aussi inattendus que Dieu, si les acteurs disent qu’il est présent dans la situation4. Mais une telle approche reste marquée par le nominalisme, car elle ne se prononce pas sur la réalité indépendante ou sur l’irréalité de ce dont parlent les acteurs. Le risque est alors de confondre une présence et une illusion de présence, ou du moins de ne pas se poser la question. Notre auteur a ainsi pris progressivement ses distances par rapport à la méthodologie nominaliste. L’anthropologue procède alors en deux temps quand il étudie, par exemple, les croyances religieuses. Dieu est d’abord mentionné parce qu’il est présent dans la vie de la communauté de croyants étudiée et parce que le discours et les pratiques des acteurs sont relatifs à un être divin. Piette adopte, par provision, un théisme méthodologique qui décrit à égalité les présences des paroissiens et de leur Dieu. Puis, sa pensée progresse vers un réalisme reconnaissant que certains êtres ne sont pas seulement des effets de présence mais qu’ils existent bel et bien – tandis que d’autres non. Ce réalisme rapproche ainsi l’anthropologie de l’ontologie philosophique. Elle passe par une discussion des sources de la croyance religieuse, des besoins de croire tels que l’on peut les reconstruire chez les premiers humains (Piette 2013). La genèse de la croyance est introduite pour ne pas en rester à la description du croyant présent. Est ainsi évitée la validation de ses postulations ontologiques, qui ont été prises en compte mais qui sont finalement interrogées à l’aune d’une généalogie de la croyance en des entités surnaturelles.
pratiques savantespratique intellectuellecatégorisation pratiques savantespratique intellectuellegénéralisation Albert Piette n’est pas le premier à attirer l’attention sur le danger d’une connaissance du général au détriment du singulier, mais sa Lettre aux anthropologues met en cause le primat des relations et du général avec une force nouvelle, dans un livre bref, clair et plutôt convaincant. Aristote, déjà, considérait qu’il n’y avait de science que du général (in 2005 : I, 31, 87b). La généralité est donnée par des catégories qui permettent de penser la nature des substances particulières et ce sont ces catégories que toute science doit exposer. Pour Aristote, dont le legs reste profondément ancré dans nos habitudes de penser, penser ce qui est, qui est toujours individuel, c’est répondre à la question « qu’est-ce ? » en indiquant sous quelles catégories tombe le particulier étudié. Le particulier n’est donc connu que sous une catégorie qui idéalement indique l’essence générale du particulier, sa nature. L’individu particulier qu’est Socrate est dit humain, il tombe sous la catégorie d’humain. La singularité de Socrate qui n’est pas qu’un cas particulier d’une catégorie générale l’humain échapperait à la science en tant que contingence dénuée de raison et donc d’intérêt ; toutes nos catégories resteraient générales et incapables de saisir la contingence du singulier. Le relationnisme est à inscrire dans la lignée d’une telle approche des individus. Les relations sont le propre de collectifs qui noient le singulier dans le général. Telle est la thèse à contester.
On pourrait penser que l’étude du singulier est bien connue et que les méthodes ethnographiques ont suffisamment d’influence sur la pratique anthropologique pour que le danger d’une réduction du singulier au général soit déjà bien maîtrisé. Or, il n’en est rien d’après notre auteur, car même pointer la focale sur l’individu ne suffit pas si l’individu est pensé sans être isolé des relations sociales :
Selon Albert Piette, même Erving Goffman (1974 [1967]) en définissant des rôles à jouer dans des situations ne réussit pas à retrouver la singularité du jeu et de l’appropriation du rôle général transcendant l’individu singulier (pp. 10-11). Les rôles ainsi définis invitent à ne regarder que des fonctions incarnées dans des individus et donc à ne regarder les individus que comme des exemples d’une fonction générale l’inscrivant, au détriment de sa singularité, dans des relations.
Il commence par reprendre les définitions de « relation » dans le dictionnaire Le Robert. Le concept de relation que l’on peut extraire de cet état de la langue française est d’abord celui d’une relation constituant les individus, l’individu étant réduit à un effet des relations. S’appuyer sur le dictionnaire n’est pas qu’un travail linguistique présentant l’usage courant d’un mot, cela permet à Piette d’interroger les principaux courants relationnistes comme le structuralisme, l’interactionnisme, ou bien encore la théorie de l’acteur-réseau de Latour. On peut reconstruire trois arguments contre le primat des relations et contre la réduction du singulier.
1.2. Les arguments empiriques pour l’existence des singularités
Le premier argument empirique a une portée méthodologique. À partir de l’observation au plus près des humains, un des modes d’être sinon le mode d’être spécifiquement humain se manifeste : le mode mineur de l’existence qui est la capacité au relâchement au sein d’une tâche, une attention flottante (voir, par exemple, Piette 1996). Suivre l’individu singulier permet de repérer qu’un humain est un être qui est rarement totalement absorbé par sa tâche, sa fonction, son habitus, son interaction. Avant d’adopter tel rôle ou d’être l’instance de tel nœud dans une structure, mais aussi après ces mises en relation, l’individu continue d’être plus que ces relations. Dans L’Origine de la croyance (2013), Albert Piette voit dans cette capacité à être présent tout en relâchant son attention une des singularités d’Homo sapiens par laquelle il en est venu à croire en l’incroyable, à croire que les morts sont encore vivants5. En effet, il faut un relâchement cognitif pour se représenter un mort comme étant toujours vivant dans un autre monde contrairement à ce qu’indique son cadavre. La croyance religieuse dépend donc d’une capacité générale d’échappement.
pratiques savantespratique intellectuelleobservationL’anthropologie suppose ainsi un travail d’attention assez paradoxal. L’anthropologue doit apprendre à être attentif aux détails sans chercher d’abord l’illustration par l’individu des catégories générales qu’il utilise habituellement. Cela suppose de détourner son attention de ce qui frappe normalement pour mieux restituer la singularité de la présence d’un individu dans son originalité. L’anthropologue doit lui aussi pratiquer l’hypolucidité qui caractérise l’humain. On peut voir là une reprise de la méthode compréhensive où la sympathie entre l’observant et l’observé se gagne par une commune pratique de la distance. Pour mieux retrouver la présence singulière qu’il étudie, l’anthropologue doit savoir expérimenter son propre mode d’être mineur. Il ne sera attentif aux détails et singularités de l’être présent étudié que s’il a d’abord expérimenté en lui l’attention relâchée, au risque de se voir submerger par l’angoisse de son expérience de désaffiliation (comme disent les sociologues des religions) vis-à-vis des collectifs et des relations. Le primat de la perception sur le langage est la condition d’une telle anthropologie. En deçà des médiations linguistiques et culturelles, le singulier se donne à voir, et la photographie comme le film sont des outils indispensables de l’anthropologue qui veut réexaminer ce qui n’a d’abord pas été vu dans la situation. La méthode anthropologique sera donc une phénoménographie, une écriture qui nous ramène au plus près de ce qui apparaît. Et la phénoménographie permet une ontographie, une description compréhensive de l’être singulier présent (pp. 76-77).
Un second argument empirique vient étayer l’anthropologie du singulier sur une expérience subjective de notre singularité. Non seulement le mode mineur doit être expérimenté pour mieux rendre l’anthropologue attentif au singulier, mais ce dernier doit aussi ressentir que comme tout être humain, il est irréductible aux relations. Exister, c’est durer au-delà des relations dans lesquelles nous entrons (pp. 50-51).
Nous en faisons l’épreuve au quotidien mais aussi à l’occasion d’expériences métaphysiques, comme la conscience que nous sommes seuls à pouvoir « mourir notre mort » (p. 70). La tonalité existentielle de l’angoisse que l’on pressent déjà dans l’élaboration du mode mineur est revendiquée comme condition de l’anthropologie. Piette propose par ailleurs une relecture d’Heidegger (2014b), dont on sait qu’il voulait destituer le sujet autonome en insistant sur l’angoisse face à la mort qui rappelle la finitude de chaque existence singulière, finitude qu’aucune relation intersubjective ou appartenance à un monde ne suffit à rassurer. Cette expérience de la singularité finie est le fondement d’un idéal régulateur méthodologique et éthique. Comme on le verra plus bas, l’anthropologie a aussi une dimension éthique puisque Piette nous enjoint à apprendre à aimer le détail des gestes humains, la singularité des présences vulnérables (pp. 79-80).
La force d’un tel argument est d’en appeler à une subjectivité irréductible qui n’est pas celle d’un moi autonome transcendant l’empirique et les sciences de l’humain. Albert Piette rejoint ainsi, à sa manière, les travaux de philosophie de l’esprit qui refusent l’objectivation du point de vue en première personne (voir, par exemple, Nagel 1993). Ce que cela fait d’être tel individu ne peut se dire et s’analyser grâce à un discours seulement impersonnel, en troisième personne. Mais une telle philosophie de la subjectivité ne va pas assez loin puisque la singularité subjective paraît s’y réduire à l’expérience de soi, à la qualité singulière de l’expérience de soi. Or, l’anthropologie selon notre auteur permet de retrouver la singularité des gestes, des paroles, des attitudes et ne se cantonne pas à désigner une intériorité.
1.3. La genèse des relations
Enfin, contre le relationnisme, Albert Piette propose un troisième argument plus spéculatif sur la nature des relations (pp. 59-68). Celui-ci est plutôt étonnant : les relations sont elles aussi des individus perceptibles et non des constructions théoriques à des fins d’explication. Ici aussi, l’influence du tournant ontologique en sciences sociales est patente (Houdart & Thierry 2011). Les hiérarchies, les différences sociales, les rapports amoureux (etc.) peuvent être reconnus comme perceptibles car telle est la meilleure interprétation des discours et attitudes des agents dont il s’agit, en première approche, d’adopter le point de vue. Les relations sont expérimentées, elles sont elles aussi présentes dans la situation :
Pour comprendre ce mode de présence des relations, il ne faut pas substantiver les relations, ce que doit montrer une théorie générique des relations à l’inverse d’une théorie génétique des individus. Les relations sont d’abord virtuelles dans les individus avant de devenir concrètes entre les individus. Piette distingue ainsi entre exorelations et endorelations, ces dernières étant des dispositions à entrer en relations, à produire des exorelations qui sont les relations sous leur forme perceptible et concrète.
pratiques savantespratique rituellecérémonie acteurs de savoirstatutprêtreAinsi, décrire un prêtre se préparant à dire la messe permet de suivre comment il va entrer en relation avec Dieu, posé lui aussi comme un agent présent dans la situation. On pourrait penser que la catégorie de prêtre servant à comprendre le comportement de tel individu implique par avance la relation à une divinité. Pourtant, l’anthropologie peut suivre la mise en relation du prêtre et de Dieu dans une situation de culte. Avant le culte, le prêtre n’a pas forcément de relation à Dieu, il pense à autre chose, à l’électricité à réparer par exemple. Mais il a la capacité à se rendre présent (à) son Dieu, telle est son endorelation. On voit ainsi que la virtualité de la relation permet de ne pas réduire le prêtre à la relation instituée par son Église.
Bruno Latour (2005) s’est donné comme projet de montrer la naissance du social plutôt que de le supposer agissant avant que les acteurs entrent en jeu. Mais il fait naître les individus à l’occasion de la mise en relation, tandis qu’Albert Piette décrit la naissance des relations à partir des êtres singuliers. Si l’on suit bien cet argument, la sociologie et l’anthropologie focalisées sur les relations oublieraient la genèse réelle des relations et donc les singuliers qui les précèdent. Le nominalisme et le constructivisme sont donc dépassés par cette généalogie qui montre que les relations et les catégories qui sont le point de départ des relationnistes sont en réalité, dans la réalité elle-même, des entités secondes. Pour refonder l’anthropologie, les considérations méthodologiques sur l’étude des détails, des restes et du mode mineur sont complétées par des considérations sur la nature même de l’être humain, comme je vais y revenir.
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophiephénoménologieMais ce troisième argument s’appuie sur la perception subjective et semble accepter que l’ordre de l’expérience est légitime pour comprendre l’ordre de la réalité. L’anthropologie du singulier comprenant l’origine des relations est plus pertinente selon Piette pour saisir l’humain que les sciences sociales focalisées sur les relations et les catégories générales. Le risque d’une telle approche est de tomber dans le problème de l’œuf et de la poule. Il est difficile de croire que toute relation naît seulement des individus. Leur capacité à se relier a sûrement une base naturelle, dans la sociabilité naturelle de l’animal social qu’est l’être humain. À cela s’ajoute que les mises en relation sont vraisemblablement dépendantes de l’acquisition de dispositions (habitus) à se relier, dispositions qui sont héritées. L’expérience subjective risque de devenir une illusion si l’on veut statuer non sur la méthode d’étude que l’on ne conteste pas ici, mais sur les catégories fondamentales pour penser l’être humain. Albert Piette risque le piège de la phénoménologie qu’il mentionne régulièrement : l’aveuglement à la puissance explicative des objectivations scientifiques et généalogiques. Les phénoménologues en revenant au vécu qui donne sens à toutes les situations humaines ont oublié les conditions matérielles et culturelles qui rendent possible ce vécu. Le danger de la focalisation sur le singulier comme source des relations est peut-être assez similaire au danger de l’idéalisme qui, adoptant le point de vue singulier de la conscience personnelle, se rend aveugle aux conditions et même aux déterminations qui œuvrent à produire cette conscience.
Si toutes les relations supposent des individus, si l’individu n’est jamais le simple effet de relations, peut-on le décrire autrement que comme un sujet auto-fondé ? Albert Piette mentionne Gabriel Tarde pour refuser à juste titre son annexion au courant relationniste. Tarde (1999) a bien posé ce problème de l’articulation du singulier qu’il nomme monade et qui est premier, avec la régularité et la généralité que l’on constate à tous les niveaux de la réalité. Il propose, certes de manière très spéculative, une théorie de l’évolution des singuliers constituant naturellement et culturellement des mises en relation et des régularités. Piette n’a pas l’intention de fonder l’anthropologie sur une métaphysique spéculative reconnaissant des forces psychiques dans la diversité des monades qui forment les éléments dynamiques ultimes de l’être. Il privilégie l’étude de la présence en situation, ce qui est un donné. Ce donné, il l’interroge en cherchant les trajectoires dans la situation et entre les situations, et en proposant des hypothèses sur l’émergence du mode mineur pendant les premiers temps de Sapiens. Si l’anthropologue préfère ne pas explorer la métaphysique des monades et de leur régularité, peut-il esquiver le problème de l’acquisition des dispositions à se lier ? Mentionner l’existence d’endorelations paraîtra une postulation non pas gratuite mais insuffisamment étayée empiriquement. C’est parce que le singulier est supposé premier dans l’ordre de l’être que les relations perçues sont rapportées à des relations virtuelles dans les individus. La genèse de l’individu singulier, si elle ne veut pas réduire l’individu à des relations sociales qui le constitueraient, doit s’interroger, comme le faisait Tarde, sur la dynamique vitale qui, conjointement à la transformation sociale, produit l’individu singulier étudié dans des situations présentes.
Encore une fois, cette critique ne vise que la genèse des relations et non la méthode de focalisation sur le singulier. On peut ne pas renoncer au singulier qui reste toujours plus qu’une mise en relation et penser les relations comme en partie constitutives des manières d’être, ce qui légitime pleinement une approche relationniste qui n’affirmerait pas que le singulier n’existe pas réellement ou qui ne soutiendrait pas qu’il n’y a que des cas particuliers de catégories et relations générales.
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Refonder l’anthropologie consiste donc, selon notre auteur, en un ensemble de postulations ontologiques qui le rapprochent de la philosophie et de modèles méthodologiques, postulations et méthodes qui se soutiennent mutuellement. Ce n’est pas réduire l’originalité et la pertinence du propos d’Albert Piette que d’affirmer que l’anthropologie des singuliers proposée se veut la réaffirmation du primat de la compréhension sur l’explication génétique. Pour lui, il faut comprendre le singulier avant d’expliquer sa genèse et son acquisition de dispositions à se relier, au risque de minorer plus que nécessaire l’étude des dynamiques de constitutions des singularités.
Plusieurs fois, j’ai insisté sur des devoirs pour l’anthropologue car le propos se veut en partie normatif, ce qu’on ne reprochera pas à un tel discours de la méthode. Finissons donc en soulignant l’éthique que mentionne Piette et qui donne aussi sens au programme qu’il défend. Il s’agit, grâce à l’attention portée aux détails et aux restes, d’apprendre à respecter et aimer la singularité de chacun. L’anthropologie devient un élément pour un humanisme qui ne retombe pas sous les objections faites en leur temps par Foucault (1966) ou Lévi-Strauss (1962). Car autant nous nous complaisons à aimer notre singularité, autant nous peinons à nous soucier de celle des autres, de ces singularités vulnérables et minuscules. L’attitude anthropologique devient alors un modèle de vie exemplaire.
Je ne vais pas suivre l’ordre d’exposition de l’ouvrage qui est parfaitement clair et rend inutile le fait de répéter chaque étape suivie par l’auteur.
L’exemple le plus évident est l’ouvrage de Luc Ferry et Alain Renaut (1988).
Albert Piette discute Mauss dans L’Origine de la croyance (2013 : 48).
Cette démarche est exemplairement pratiquée dans La Religion de près (1999).
Cf. le dossier de la revue ThéoRèmes consacré à cet ouvrage (Feneuil & Schmitt 2013).