1.
acteurs de savoirprofessionécrivain acteurs de savoirmodes d’interactionconflictualité construction des savoirsépistémologieidée pratiques savantespratique artistiquelittératureDans un pays qui, avant de s’unir politiquement il y a cent cinquante ans, communiait avant tout autour de sa littérature et qui, divisé il y a soixante-quinze ans en zones d’occupation étrangère, invoqua à nouveau le pouvoir unificateur de celle-ci, les écrivains ont toujours été particulièrement impliqués dans les conflits politiques ou revendiqués à des fins idéologiques. Ce fut ainsi le cas des deux classiques de Weimar Johann Wolfgang Goethe et Friedrich Schiller, qui se considéraient déjà de leur vivant comme représentants de leur art et le devinrent d’autant plus à titre posthume. Le cas de Thomas Mann est similaire, lui qui fut justement, des deux côtés de la frontière intérieure, l’invité de marque des commémorations organisées en 1949 et 1955 en l’honneur de Goethe et de Schiller, et qui fut également invoqué après sa mort par les deux Allemagnes pour servir des buts politico-culturels divergents. Les écrivains des deux États jouèrent de même un rôle politique non négligeable lors du processus d’unification en 1990.
typologie des savoirsobjets d’étudepensée acteurs de savoircatégorie socialepeuple construction des savoirslangage et savoirslangueallemand construction des savoirslangage et savoirslangue typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire acteurs de savoiracteur non humainêtre surnaturelhérosForme séculaire du culte des saints qui éleva des figures telles que Dürer, Gutenberg et Luther au rang de héros nationaux, le culte du génie s’étendit également à certaines figures littéraires des 18e et 19e siècles. Schiller acquit ainsi un statut hors pair lors de la période allant du Vormärz 1 à la Première Guerre mondiale. Sa caractérisation comme chantre de la liberté et de l’unité doit moins au regard porté sur l’ensemble de son œuvre qu’à l’impact de certaines formules particulièrement marquantes telles que le serment du Rütli (« Nous voulons être un seul peuple de frères ») ou la revendication par le marquis de Posa de la « liberté de pensée ». Le fait que Schiller se soit abstenu de toute prise de position pro-napoléonienne et que sa mort prématurée l’ait empêché de prendre parti lors des guerres de libération de 1813-1815 en fit un parrain du mouvement national-libéral plus approprié que Goethe, largement considéré comme un cosmopolite et serviteur des princes. Le buste sculpté par Dannecker, incarnation de l’idéalisme allemand, constituait en outre une icône extrêmement puissante (voir ill. p. 40).

construction des savoirstraditioncommémorationÀ la mort de Schiller en 1805, dix-huit mois à peine avant la double bataille d’Iéna et d’Auerstedt, les monuments commémoratifs n’étaient pas encore dans l’air du temps. Une sépulture individuelle ne fut même pas jugée nécessaire, et si le poète avait bien cherché à assurer lui-même sa célébrité et son renom posthume par une mise en scène délibérée de sa propre image, il n’avait en revanche montré que peu d’intérêt pour la documentation de son œuvre. Il détruisait ainsi les travaux préparatoires de ses ouvrages au fur et à mesure de leur impression et, malgré une santé fragile, ne rédigea pas de testament. Son épouse, qui lui survécut vingt ans, comme ses enfants se montrèrent très prodigues en vendant et donnant autographes et souvenirs. Même les deux demeures qu’il possédait, la maison d’été d’Iéna et la résidence de Weimar, changèrent de mains. Aucune pièce d’inventaire ne resta sur place et la vénération de Schiller se traduisit dès lors, dans un premier temps, non par l’aménagement des lieux familiers en lieux de commémoration, mais principalement par des projets de monuments.
espaces savantslieumaison espaces savantsterritoireville pratiques savantespratique artistiquepoésiePremière statue monumentale d’un poète en Allemagne, la statue conçue par Bertel Thorvaldsen et installée sur le Schlossplatz (place du Château) de Stuttgart constitua un premier coup d’éclat et son inauguration le 8 mai 1839 fut ressentie dans toute la Confédération allemande comme un tournant dans la lutte pour les libertés civiles et l’unité nationale. Située à seulement vingt kilomètres de là, la petite ville de Marbach avait perdu la compétition pour le monument malgré l’aménagement par le Schillerverein (Cercle Schiller), fondé en 1835, d’un petit parc dénommé « Schillerhöhe » (colline de Schiller). Les efforts y porteraient désormais sur l’atout unique de la ville : la maison natale du poète, acquise par la Société en 1857. Alors que dans la maison de Weimar, première ouverte au public dix ans plus tôt, le cabinet de travail et la chambre mortuaire de Schiller pouvaient prétendre à une certaine authenticité grâce à la réacquisition de meubles originaux, une refonte complète s’avéra nécessaire à Marbach, où il ne restait pour ainsi dire plus une pierre d’origine, près de quatre-vingt-quinze ans après le départ de la famille.

espaces savantslieumusée espaces savantslieumaison acteurs de savoircommunautéfamilleSous prétexte de restaurer cette simple maison d’artisan, située dans la ville basse habitée principalement par des vignerons et dont le dernier occupant avait été un boulanger, le professeur et architecte de la cour de Stuttgart Christian Friedrich Leins la transforma en résidence bourgeoise avec une façade de style « vieil allemand ». À l’intérieur, il créa de toutes pièces une atmosphère chaleureuse inédite à travers un aménagement historiciste des pièces, fait de panneaux de bois et de fenêtres au verre soufflé en couronne (voir ill. p. 36). Outre la pièce à l’origine beaucoup plus petite du rez-de-chaussée, où Schiller avait vécu avec sa mère et sa sœur aînée – officier dans un régiment du Wurtemberg, son père séjournait rarement à Marbach –, la pièce principale de l’étage fut également transformée en musée. L’inauguration eut lieu en 1859 pour le centenaire de la naissance de Schiller, la plus prestigieuse cérémonie d’anniversaire jamais célébrée en Allemagne pour un poète2.

acteurs de savoirmodes d’interactionconflictualité construction des savoirstraditionmémoireÀ la différence du lieu de mémoire inauguré en 1848 à Gohlis près de Leipzig, inspiré par les idées du Vormärz et dont l’initiateur Robert Blum fut exécuté la même année à Vienne comme révolutionnaire, le projet de Marbach était fondé sur un mélange de patriotisme wurtembergeois et de fierté locale. Outre Weimar, Leipzig et Marbach, les 19e et 20e siècles virent s’élever des monuments dans d’autres lieux de résidence de Schiller, tels Bauerbach près de Meiningen, Iéna, Dresde et enfin Rudolstadt. Stuttgart se montra plus réticente, probablement en raison de la nécessité qu’il y aurait eu à mettre en lumière les conflits de Schiller avec son employeur et souverain local. L’absence dans un premier temps de monument à Berlin tient probablement non seulement au fait que les demeures où vécut le poète lors de son court séjour de 1804 avaient disparu depuis, mais aussi à la crainte persistante des autorités prussiennes de voir le poète instrumentalisé pour la cause libérale à la suite de la répression de la révolution de 1848/49.
construction des savoirspolitique des savoirsrégime politique pratiques savantespratique artistiquesculpture construction des savoirspolitique des savoirsguerre espaces savantsterritoireville pratiques savantespratique artistiquepoésieEn 1871, avec l’érection du monument de Berlin, les autorités réussirent à imposer le poète comme symbole du jeune Empire allemand. Des monuments en l’honneur de Schiller furent également érigés avant et après cette année charnière dans tout le monde germanophone ainsi que dans plusieurs villes des États-Unis à forte population allemande. Dans sa ville natale, si la première pierre avait déjà été posée sur la Schillerhöhe en 1859, le monument ne fut érigé qu’en 1876. Il était en effet impossible pour la ville de financer la construction par ses propres moyens, et la collecte de fonds fut perturbée par les guerres d’unification. L’empereur, finalement, fit don du métal destiné à couler la statue conçue par le sculpteur Ernst Rau, originaire de Tübingen (voir ill. ci-contre). L’utilisation d’un canon français, butin de la guerre de 1870/71, est un détail piquant si l’on considère que Schiller avait obtenu la citoyenneté de la France révolutionnaire en 1792, à la demande du député de Strasbourg Philipp Jakob Rühl.

acteurs de savoircommunautéinstitution construction des savoirstraditiontransmission espaces savantsterritoireville construction des savoirstraditionpatrimoine matérielSi des monuments furent érigés presque partout, des collections remarquables de manuscrits, livres, images et reliques se constituèrent uniquement à Weimar et à Marbach. Un premier apogée fut atteint dans la ville natale du poète en 1890, lorsque l’énergique maire de la ville et président du Schillerverein (Cercle Schiller) Traugott Haffner réussit à obtenir en don l’essentiel des portraits de famille de la succession de la veuve du fils aîné du poète. La vente des archives littéraires de Schiller à Weimar en 1889, comme celles d’Eduard Mörike en 1892, furent ressenties par les acteurs culturels wurtembergeois comme un signal clair de la nécessité de redoubler d’efforts pour préserver localement la mémoire de Schiller comme celle d’autres enfants du pays passés à la postérité, et de souligner leur contribution à la culture nationale. On ne saurait sous-estimer le rôle joué alors par le banquier et entrepreneur juif Kilian Steiner, qui concrétisa l’appel de Wilhelm Dilthey à la création d’une institution dédiée à la collecte des archives littéraires des écrivains souabes.
construction des savoirspolitique des savoirsmécénat espaces savantslieumusée Haffner et Steiner parvinrent à convaincre le roi Guillaume II de Wurtemberg de la nécessité d’une société à vocation interrégionale destinée à recueillir des archives et à fonder un musée consacré à Schiller et aux poètes wurtembergeois marquants du 19e siècle, ceux-là mêmes autrefois raillés par Heinrich Heine dans son Schwabenspiegel. Le Schwäbischer Schillerverein (Cercle Schiller de Souabe) fut ainsi fondé en 1895 et parvint, grâce à l’implication décisive de ses deux initiateurs, à faire rapidement ériger un bâtiment représentatif sur la Schilleröhe, en face du monument de 1876, bâtiment qui fut inauguré en 1903 sous le nom de Schiller-Museum und -Archiv et devint en 1922 le Schiller-Nationalmuseum sur proposition du député du Reichstag Theodor Heuss. Structure associative parrainée par l’État et financée par des mécènes, elle compte parmi les nombreuses institutions culturelles reconnues d’utilité publique en Allemagne dont les missions sont, dans d’autres pays, traditionnellement du ressort des pouvoirs publics (voir ill. p. 43).

acteurs de savoircommunautéinstitution matérialité des savoirssupportsupport de communicationexposition construction des savoirstraditionpatrimoine matérielLa constitution des collections s’appuya sur les activités du professeur de lycée de Stuttgart Otto Güntter. Inspiré par une visite à la National Portrait Gallery de Londres, il avait organisé en 1890 une exposition consacrée à Schiller et d’autres grands noms de la vie intellectuelle souabe à la Königliche Technische Hochschule (École supérieure technique du royaume). Les pièces exposées provenaient principalement de collections privées, les Schilleriana pour l’essentiel de la succession de la sœur de Schiller, Louise Franckh, seule source significative restante dans le Wurtemberg. Cette exposition constitua, avec la collection du Schillerverein de Marbach, le noyau initial du musée. Les premiers grands fonds du 19e siècle à arriver à Marbach furent les successions de Ludwig Uhland, Berthold Auerbach et Justinus Kerner, également données par Kilian Steiner. La maison natale resta la propriété du Schillerverein local qui poursuivit ses activités et se réserva le droit de l’aménager à l’aide des collections de la nouvelle, et plus importante, institution, ce qu’elle fait encore aujourd’hui.
espaces savantslieu espaces savantslieumuséeAu cours des décennies qui suivirent, le Musée national Schiller devint, du moins en ce qui concerne sa figure tutélaire, le digne pendant des hauts lieux des « classiques de Weimar » que sont le Goethe-Archiv (devenu en 1890Goethe-und Schiller-Archiv) et le Goethe-Nationalmuseum. En dépit de leurs noms, les deux musées, celui de Marbach et celui de Weimar, n’ont pas été institués sous l’Empire allemand mais sont des réalisations de prestige, pour le premier du royaume de Wurtemberg, et pour le second du grand-duché de Saxe-Weimar-Eisenach. Les doutes émis par Weimar quant à un second lieu de conservation de collections relatives à Schiller ont certes pu être dissipés ; cependant une certaine concurrence entre les lieux de naissance et de décès perdure dans le cas de Schiller, comme dans celui de Goethe entre Francfort et Weimar. Il s’en est fallu de peu que le conflit avec Stuttgart au sujet de l’emplacement du monument ne trouve là aussi une continuation, mais le choix du roi du Wurtemberg en faveur de Marbach y mit fin. Celle-ci reste ainsi à ce jour la plus petite commune allemande à accueillir une institution culturelle de dimension nationale.
matérialité des savoirssupportsupport de communicationexposition inscription des savoirslivreimprimé inscription des savoirslivremanuscrit espaces savantslieumusée espaces savantslieubibliothèque espaces savantslieuarchivesContrairement à Weimar, les fonctions d’un service d’archive, d’une bibliothèque et d’un musée se trouvaient rassemblées dans le programme de l’institution de Marbach dès son origine, comme en témoignent les intitulés des registres d’inventaire : « manuscrits », « imprimés », « portraits et objets personnels ». Le bâtiment néo-classique conçu par les architectes de Stuttgart Ludwig Eisenlohr et Carl Weigle pour abriter le musée, visible de loin car situé sur une paroi rocheuse au bord du Neckar, conjugue des éléments du vocabulaire architectural des châteaux wurtembergeois du 18e siècle avec d’autres issus du décor du Panthéon de Rome. Le mur d’exposition monumental du hall d’entrée, au milieu duquel se trouve une copie du buste créé par Dannecker, souligne lui aussi que le bâtiment est un temple dédié au génie (voir ill. p. 44). La salle centrale est décorée de bas-reliefs dont les motifs illustrent les poèmes de Schiller. Lors de la préparation du projet, une délégation ad hoc avait visité le somptueux nouveau bâtiment de la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, sur la façade de laquelle l’hommage rendu à Schiller, à côté d’autres grands esprits, prend la forme d’un portrait en médaillon.

construction des savoirstraditioncommémoration construction des savoirstraditiontransmission construction des savoirspolitique des savoirsrégime politique construction des savoirspolitique des savoirsguerreAprès le décès de ses pères fondateurs, Haffner et Steiner, survenu avant l’ouverture du musée de Marbach, Otto Güntter en reprit en 1904 la direction qu’il occupa jusqu’à son quatre-vingtième anniversaire en 1938. L’exposition temporaire qu’il organisa lors du centenaire de la mort de Schiller en 1905 se mua en une exposition permanente, qui fut enrichie à plusieurs reprises et dont les grandes lignes survécurent à deux guerres mondiales. Activement soutenu pendant la crise économique par les sociétés Schiller américaines et co-financé par l’Empire allemand à partir de 1927, le musée traversa sans dommages, si ce n’est sans compromissions, l’époque du national-socialisme. L’année 1934 marqua le point d’orgue de la récupération politique, avec la tenue d’un « hommage de la jeunesse allemande à Schiller » en juin et une célébration du 175e anniversaire du poète qui se tint sous la coupe de pontes du national-socialisme wurtembergeois. Grâce à l’acquisition auprès de son dernier descendant d’une grande partie des images et objets légués par Schiller, la collection s’étendit considérablement tandis que l’extension des ailes du bâtiment permit d’accroître la surface d’exposition.
construction des savoirspolitique des savoirsguerre construction des savoirspolitique des savoirs acteurs de savoircommunautéinstitutionLa période de six ans durant laquelle l’écrivain et « responsable culturel » national-socialiste local Georg Schmückle fut directeur reste anecdotique. L’événement le plus important de son administration, qu’il n’accompagna d’ailleurs qu’à la marge, fut le lancement de « l’édition nationale » de l’œuvre et de la correspondance de Schiller, qui fut publiée en collaboration avec l’institution de Weimar jusqu’à son achèvement au 21e siècle. Ce dernier fait est d’autant plus remarquable qu’une telle coopération après la Seconde Guerre mondiale se heurta à de considérables obstacles d’ordre politique, du fait de la division de l’Allemagne en quatre zones d’occupation et plus tard en deux États. Le monument Schiller de Stuttgart fut mis à l’abri pendant la guerre, et sa remise en place dès novembre 1945 s’accompagna d’un discours du commandant de la garnison américaine dans lequel il appelait de ses vœux le renouveau de la démocratie. Sous l’impulsion du nouveau directeur Erwin Ackerknecht, réformateur de bibliothèques politiquement sans reproche, le personnel fut renouvelé et l’association de soutien fut refondée sous le nom de Deutsche Schillergesellschaft.
acteurs de savoircommunautéinstitution espaces savantslieubibliothèque espaces savantslieuarchivesEn 1947, à la veille de la division de l’Allemagne, le musée, fermé depuis le début de la guerre, rouvrit ses portes. Cette division fut scellée en 1955 par l’entrée des deux États allemands dans des alliances militaires ennemies, ce qui permit à Marbach de gagner en notoriété de manière inattendue. Du fait du fossé grandissant entre les deux États, des institutions nationales avaient déjà été dupliquées. C’est ainsi que fut fondée à Francfort-sur-le-Main la Deutsche Bibliothek, pendant occidental de la Deutsche Bücherei de Leipzig. Il manquait cependant encore en Allemagne de l’Ouest un lieu de collecte des archives littéraires comparable au département des manuscrits de la Staatsbibliothek de Berlin ou au Goethe-und Schiller-Archiv de Weimar. La ville de Bonn, élevée provisoirement au rang de capitale fédérale, n’entrait pas en ligne de compte. Le Freies Deutsches Hochstift et le Goethemuseum de Francfort-sur-le-Main étaient en ruines. Il n’y avait guère d’autres possibilités car toutes les grandes bibliothèques devaient d’abord réparer les dommages causés à leurs bâtiments et à leurs fonds.
espaces savantslieuarchives construction des savoirspolitique des savoirsgestionadministration inscription des savoirslivreéditionLe Schiller-Nationalmuseum avait été épargné par la guerre, ses collections mises à l’abri dans une mine de sel étaient intactes, et ses activités lui avaient apporté une bonne réputation, tandis que l’entrée dans ses collections, dans les années 1950, des archives de la maison d’édition Cotta étendirent le périmètre de ses fonds au-delà de l’Allemagne du sud-ouest. Le fait que Theodor Heuss, élu en 1949 président de l’Allemagne fédérale, avait des liens étroits avec la Deutsche Schillerge-sellschaft, dont il était membre du conseil d’administration, a aussi pu peser dans la balance. Le nom de Schiller ne joua qu’un rôle secondaire dans cette décision, mais finit tout de même par être pris en compte : après une période d’incertitude, un double nom fut retenu, Schiller-Nationalmuseum/Deutsches Literaturarchiv. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une création, mais d’une extension d’un établissement déjà existant, ce qui s’explique par égard pour les lieux de collecte d’archives littéraires d’Allemagne de l’Est, mais marque encore aujourd’hui le musée de son empreinte.
construction des savoirstradition acteurs de savoircommunautéinstitution espaces savantslieumuséeLa renommée de l’institution remaniée de Marbach a bénéficié du 150e anniversaire de la mort de Schiller, célébré en 1955, qui fut l’occasion non seulement pour Weimar, mais aussi pour Marbach et Stuttgart, lieux de sa naissance et de sa formation, d’attirer sur elles l’attention du public. Le président de la Société Schiller, Wilhelm Hoffmann, directeur de la Württembergische Landesbibliothek, et l’historien Bernhard Zeller, nommé directeur du musée peu avant la célébration du jubilé à Marbach, furent les chevilles ouvrières de la préparation des festivités. L’épicentre en Allemagne de l’Ouest en était Stuttgart, et Thomas Mann y tint un discours officiel. Avant de se rendre à Weimar, où il invoqua dans les mêmes termes l’unité culturelle allemande placée sous l’égide de Schiller, Mann fit également une courte visite à Marbach (voir ill. ci-contre). S’inscrivant dans les traditions du 19e siècle tout en étant marquées par l’actualité politique, ces journées ont été autant un apogée qu’un nouveau départ pour la postérité de Schiller et pour le Schiller-Nationalmuseum.

construction des savoirstraditionpatrimonialisation matérialité des savoirssupportsupport de communicationexposition pratiques savantespratique artistiquelittératureLa nouvelle mission de documentation de la littérature contemporaine fit passer au second plan les fonds historiques, comme en témoigne la fameuse exposition « Expressionnisme – Littérature et art » en 1960. Les liens fructueux tissés avec de nombreux auteurs contraints à l’exil depuis 1933 sont à mettre au crédit du directeur Zeller et du bibliothécaire en chef Paul Raabe. Le Deutsches Literaturarchiv, par la sauvegarde et la valorisation de ces archives, a considérablement contribué au rayonnement international de la jeune République fédérale et à son intégration dans la communauté des nations occidentales. Même si la part des nouveaux fonds dépassa rapidement celle des plus anciens, les champs de recherche traditionnels, et notamment Schiller, ne furent pas négligés. En témoigne le fait que, lors de la visite de la reine d’Angleterre au musée de Marbach en 1965, la salle Schiller du musée et la maison natale de Schiller en furent naturellement les points d’orgue.
pratiques savantespratique artistiquelittérature espaces savantslieuarchives espaces savantslieumuséeDans la compétition engagée avec les académies des arts de Berlin est et ouest, le Deutsches Literaturarchiv faisait porter ses efforts sur les archives personnelles de contemporains, qui de plus en plus souvent se séparaient de leur documentation de leur vivant. Les archives régionales et locales jouèrent dès lors un rôle croissant, tel le Heinrich-Heine-Institut à Düsseldorf ou le Monacensia Literaturarchiv à Munich. En 1980, pour accompagner les petits établissements du sud-ouest de l’Allemagne, un poste hébergé par le Schiller-Nationalmuseum fut créé à destination des musées consacrés à la littérature, des archives et des lieux de mémoire du Bade-Wurtemberg. La réunification permit à la Deutsche Schillergesellschaft de retrouver ou de gagner des membres en Allemagne de l’Est, ainsi que d’approfondir la collaboration avec la Klassik Stiftung Weimar, qui succéda à la Nationale Forschungs-und Gedenkstätten der klassischen deutschen Literatur. Le Schillerverein de Marbach développa après la chute du mur des contacts actifs avec les maisons Schiller dans les Länder est-allemands.
pratiques savantespratique lettréepublication matérialité des savoirssupportsupport de communicationexpositionL’accroissement exponentiel des fonds du 20e siècle que le Deutsches Literaturarchiv a passé les cinq premières décennies de son existence à répertorier est à l’origine de la décision de remplacer le double nom « Schiller-Nationalmuseum/Deutsches Literaturarchiv » par le terme « Deutsches Literaturarchiv Marbach ». Le vénérable nom donné au musée depuis la République de Weimar ne désigne plus depuis lors que le bâtiment historique de 1903, qui est entouré aujourd’hui par un bâtiment destiné aux archives, ouvert en 1973 et considérablement agrandi en 1994, un bâtiment d’accueil des chercheurs de 1993 et un deuxième musée, le Literaturmuseum der Moderne (voir ill. ci-contre). Ce faisant, la référence à la figure tutélaire a toujours été préservée, grâce à des expositions, des colloques et des publications, et à travers le nom demeuré inchangé de l’association de soutien. La même préoccupation est partagée par la municipalité et par l’association locale. Le souhait est d’autant plus grand à Marbach de voir le gouvernement du Land de Bade-Wurtemberg donner suite à la requête d’ajouter le qualificatif de « Schillerstadt » (ville de Schiller) comme composante du nom du lieu3.

Le terme « Vormärz », qui signifie « avant-mars », est employé par les germanistes pour désigner l’ensemble de la période d’histoire culturelle des pays de langue allemande qui va de 1815 à 1848, de la Restauration aux mouvements révolutionnaires de mars 1848 (nous empruntons cette définition à Jacques Le Rider, dans « Vormärz VS Biedermeier », in Revue d‘histoire du XIX e siècle, 52 | 2016, p. 19-29).
Voir à ce sujet, en français, le catalogue d’exposition Schiller et l’idéal européen (notice complète dans les Orientations bibliographiques), p. 130-140.
Le nom officiel de la ville deviendrait alors « Schillerstadt Marbach ». Cette coutume est présente ailleurs en Allemagne, où des villes ayant vu naître ou ayant abrité l’activité de personnalités célèbres ont ainsi vu accoler à leurs noms celui desdites célébrités : par exemple Eschenbach devenue Wolframs Eschenbach, ou encore Wittenberg devenue Lutherstadt Wittenberg.
Appendix A Orientations bibliographiques
- Carl Ullmann et Gustav Schwab, Der Cultus des Genius, mit besonderer Beziehung auf Schiller und sein Verhältniß zum Christenthum, Hamburg, 1840
- Robert Blum, « Schiller als Dichter des deutschen Volkes. Was feiern wir am Schillerfeste ? », in Gedenkbuch an Friedrich Schiller. Am 9. Mai 1855, Leipzig, 1855, p. 35-42, 52-59
- Otto Elben, Das Schillerfest in Schillers Heimath Stuttgart, Ludwigsburg und Marbach den 9., 10. und 11. November 1859, Stuttgart, 1859
- Alois Egger, Schiller in Marbach. Zum Besten der Schillerdenkmale in Wien und Marbach, Wien, 1868
- Albert Kautter, Marbach am Neckar, die Geburtsstadt Friedrich Schillers, Marbach, 1884
- Rudolf Krauss, « Der Schwäbische Schillerverein und das Marbacher Schillermuseum », in Westermanns Illustrierte deutsche Monatshefte, 4 (1903), p. 432-444
- Das Schillermuseum in Marbach, Stuttgart, 1906
- Otto Güntter (éd.), Das Schiller-Nationalmuseum in Marbach, Stuttgart et Berlin, 1935 (= Veröffentlichungen des Schwäbischen Schillervereins, 15)
- Otto Güntter, Mein Lebenswerk, Suttgart, 1948
- Eugen Munz, Dem Dichter ein Denkmal. Schillerverehrung in Marbach 1812–1876, Marbach, 1976 (= Schriften zur Marbacher Stadtgeschichte, 1)
- Friedrich Pfäfflin, Schiller. Ständige Ausstellung des Schiller-Nationalmuseums und des Deutschen Literarturarchivs, Marbach, 1980 (= Marbacher Kataloge, 32)
- Dierk Möller, Das Schillermuseum in Marbach. Die Geschichte der Gründung 1895–1903, Marbach, 1983 (= Schriften zur Marbacher Stadtgeschichte, 3)
- Albrecht Bergold et Friedrich Pfäfflin, Schillers Geburtshaus in Marbach am Neckar, Marbach, 1988 (= Marbacher Magazin, 46)
- « Literatur und Politik [im Schillerjahr 1955] », in Michael Davidis, Bernhard Fischer, Brigitte Raitz und Gunther Nickel, Konstellationen. Literatur um 1955, Marbach, 1995 (= Marbacher Kataloge, 48, p. 21-47)
- Marbach. Rückblick auf ein Jahrhundert 1895–1995, Marbach, 1996 (= Marbacher Schriften, 43)
- Michael Davidis et Sabine Fischer, Aus dem Hausrat eines Hofrats. Die Ausstellung in Schillers Geburtshaus, Marbach, 1997 (= Marbacher Magazin, 77)
- Christina Tezky et Viola Geyersbach, Schillers Wohnhaus in Weimar, München, 1999
- Ulrich Ott, « Unterkellert bis zum Styx. Bauherrengedanken zur Marbacher Schillerhöhe », in Marbach. Schillerhöhe. Hundert Jahre Architektur für Literatur, Marbach, 2003 (= Marbacher Magazin, 103, p. 7-39)
- Schiller et l’idéal européen [Exposition, Strasbourg, 2005] / catalogue réalisé sous la direction de Christophe Didier avec la collaboration de Jean-Louis Elloy, Strasbourg, BNU, 2005
- Paul Kahl, « „… ein Tempel der Erinnerung an Deutschlands großen Dichter“. Das Weimarer Schillerhaus 1847-2007. Gründung und Geschichte des ersten deutschen Literaturmuseums », in Die große Stadt – Das kulturhistorische Archiv von Weimar–Jena, 1 (2008), p. 313-326, 2 (2009), p. 40-75, 155-176 et 217-237
- Michael Davidis et Thomas Schmidt, Schiller in Marbach. Die Ausstellung im Geburtshaus, Marbach, 2010 (= Schriften des Marbacher Schillervereins, Sonderband)
- Paul Kahl, « Museum – Gedenkstätte – Literaturmuseum. Versuch einer Begriffsklärung am Beispiel von Schillers Marbacher Geburtshaus 1859–2009 », in Jahrbuch des Freien Deutschen Hochstifts, 2010, p. 339-360
- Michael Davidis, « Schiller-Ausstellungen in Marbach von 1859 bis 2009 », in Silke Henke et Nikolas Immer (éd.), Friedrich Schiller – Orte der Erinnerung, Weimar, 2011, p. 27-41
- Christoph Schmälzle, « Weltliche Wallfahrt. Schillers Reliquien in den Gedenkstätten des 19. Jahrhunderts », in Hellmut Seemann et Thorsten Valk (éd.), Literatur ausstellen. Museale Inszenierungen der Weimarer Klassik, Göttingen, 2012, p. 57-84
- Fenja Sommer, Ein Feierkult um Schiller ? Untersuchung der Schillerfeiern im Dritten Reich in seiner Geburtsstadt Marbach am Neckar, Marburg, 2015
- Michael Davidis (éd.), Marbach wird Schillerstadt. Traugott Haffners Rechenschaftsbericht von 1895, Marbach, 2020 (= Schriften des Marbacher Schillervereins, 6)
- Jan Eike Dunkhase, Provinz der Moderne. Marbachs Weg zum Deutschen Literaturarchiv, Stuttgart, 2021