1.


1.1. Une maison de famille
espaces savantslieujardin acteurs de savoircommunautéfamille pratiques savantespratique discursivedescription espaces savantslieumaisonÀ cinquante kilomètres au sud de Bordeaux, sur les collines de l’Entre-deux-Mers surplombant la vallée de la Garonne, la maison de François Mauriac contemple « l’immense armée noire qui ferme l’horizon »1. Le domaine de Malagar est une propriété viticole achetée en 1843 par Jean Mauriac, arrière-grand-père de François, qui ajoute à la maison existante un imposant pavillon coiffé d’ardoises. Jean Mauriac redessine aussi largement le parc, faisant planter une allée de tilleuls ainsi que plus d’un millier de charmes et, surtout, créant une terrasse au sud, sorte de figure de proue dominant les flots de vignes. Avec Jacques, le grand-père de François, c’est une tour qui s’élève à l’extrémité des communs pour servir de logement au régisseur.
construction des savoirstraditionhéritageTrois générations plus tard, habituée à passer les vacances dans le chalet de Saint-Symphorien, la famille se replie, lors d’un été de canicule, sur les hauteurs de Saint-Maixant, et c’est le coup de foudre pour le jeune François. Sous le charme de Malagar, il restera fidèle sa vie durant à cette propriété dont il hérite en 1927 et qui devient, avec la forêt des Landes, l’un de ses principaux lieux d’inspiration.
acteurs de savoirprofessionécrivain espaces savantslieumaisonSitué sur un parc de quatre hectares, le domaine se compose alors d’une maison de maître, de deux chais, de dépendances agricoles, le tout entouré d’un vignoble de quatorze hectares. Dans les années 1930, le nouveau maître des lieux fait agrandir la maison d’un cabinet de travail et de deux chambres, dotées chacune d’une salle de bain ; le confort « moderne » fait son entrée à Malagar. Mais c’est de son « apport personnel » dans le parc que l’écrivain est tout particulièrement fier, avec la plantation d’une pinède, d’une allée de peupliers et d’un alignement de cent trente cyprès ponctués de pins parasols, qui lui rappellent les paysages toscans et sont aujourd’hui devenus l’emblème du domaine
1.2. Un lieu de villégiature et d’inspiration
acteurs de savoircommunautéfamille acteurs de savoirprofessionécrivainÀ l’exception de la période de l’Occupation, durant laquelle Malagar devient, en 1941 et 1942, le refuge de l’écrivain et de ses proches, François et Jeanne Mauriac y séjournent régulièrement deux fois par an, au printemps et à l’époque des vendanges. La famille s’y retrouve, qui s’agrandit petit à petit des enfants et petits-enfants et s’élargit aussi au cercle des amis, anonymes pour certains, célèbres pour d’autres, tels Jean Balde, Robert Barrat, Jean Blanzat, Gaston Duthuron, André Gide, André Maurois, Philippe Noiret, Claude Roy, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Philippe Sollers…
Malagar ne sera pourtant jamais un lieu de rendez-vous mondains ; la vie y est douce et paisible. François Mauriac y lit, se repose, écrit, se promène dans le domaine et aux alentours et goûte avec gourmandise aux poulardes, ortolans, foies gras et autres réjouissances de la cuisine locale. Mais vacances ou pas, il ne perd jamais de vue la gestion de son domaine, comme en témoigne Le Livre de raison de Malagar. À l’origine simple registre de comptes, François Mauriac le transforme en une sorte de journal de bord de ses séjours girondins et l’on y découvre, entre autres, avec quelle attention il se préoccupe du prix de vente du vin de ses vignes ou de l’achat d’un nouveau tracteur.
pratiques savantespratique artistiquethéâtre matérialité des savoirssupportsupport de communicationjournal inscription des savoirsgenre éditorialbiographie pratiques savantespratique artistiquepoésie construction des savoirslangage et savoirsgenreromanQuand on a compris cet attachement de l’homme à sa terre, on ne peut s’étonner de la présence de Malagar dans les milliers de pages de l’œuvre romanesque, poétique, autobiographique et journalistique de François Mauriac. Celui-ci n’invente rien, il regarde autour de lui : « Je ne puis concevoir un roman sans avoir présente à l’esprit, dans ses moindres recoins, la maison qui en sera le théâtre »2. Il fait ainsi des paysages de l’Entre-deux-Mers qui l’entourent le décor de La Chair et le sang (Éd. Émile-Paul, 1920), Destins (Éd. Grasset, 1928) et Le Nœud de vipères (Éd. Grasset, 1932). Parfois, le journaliste partage aussi sa connaissance et son inquiétude sur le devenir de cette terre qui ne ment pas et l’évoque dans ses articles du Bloc-notes (1952-1970) et des Mémoires intérieurs (Éd. Flammarion, 1959). Inquiétudes encore dans Le Cahier noir (Éd. de Minuit, 1943), œuvre de résistance écrite en grande partie à Malagar, alors que le domaine était réquisitionné par l’occupant et que les pas d’un officier allemand résonnaient dans la chambre au-dessus du bureau de Mauriac…
1.3. D’une maison de vacances à une maison d’écrivain
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire construction des savoirstraditionhéritage François Mauriac séjourne à Malagar pour la dernière fois en septembre 1968, deux ans avant sa mort. Au décès de l’écrivain, le domaine revient à ses quatre enfants, Claude, Claire, Luce et Jean Mauriac, qui, en 1985, année du centenaire de la naissance de leur père, en font don au Conseil régional d’Aquitaine (devenu aujourd’hui la Région Nouvelle-Aquitaine). Cette donation comprend non seulement les quatre hectares de parc, les dépendances agricoles et la maison, mais également tout son mobilier et ce qu’il contenait de documents sur la vie du domaine, de correspondance familiale et professionnelle, sans oublier des milliers de photographies… autant de précieuses archives balayant presqu’un siècle et demi de l’histoire d’une famille intimement liée à l’histoire de ce lieu. C’est pour assurer la conservation et la valorisation de cet inestimable patrimoine que la Région crée un an plus tard le « Centre François Mauriac de Malagar », association dont la mission toute tracée est de faire vivre la mémoire de l’écrivain et de poursuivre la transmission de son œuvre.
espaces savantslieumuséeAprès quelques nécessaires travaux de restauration, le domaine est ouvert au public en 1997. Dès lors, des liens étroits se tissent avec l’université, universitaires et journalistes alternant à la présidence du Centre François Mauriac : Jacques Monférier (1986-2001), Bernard Cocula (2001-2005), Philippe Baudorre (2005-2006), Jean-Claude Guillebaud (2006-2010), Éric Fottorino (2011-2016) et Anne-Marie Cocula (depuis 2016).



L’un des premiers enjeux a été d’assurer la protection de Malagar dans le temps, et pour que Malagar soit préservé, il fallait que Malagar soit classé : ce fut fait en 1991, à l’inventaire supplémentaire, puis au titre des monuments historiques cinq ans plus tard (« La conservation du domaine de Malagar présente au point de vue de l’histoire un intérêt public en raison des souvenirs littéraires qui se rattachent à cet ensemble : sont classés parmi les monuments historiques, en totalité, les bâtiments du domaine de Malagar à Saint-Maixant », selon les termes de l’arrêté du 12 décembre 1996 signé du ministre de la Culture). Enfin, en 2013, le même ministère de la Culture décida de classer toutes les parties bâties et non bâties du domaine : prairie, alignement de cyprès, allée de peupliers, ainsi que le bois de pins. Par ailleurs, le label « Maison des Illustres », qui récompense « une offre culturelle remarquable et garantit un accueil de qualité auprès de tous les publics », a été attribué au domaine de Malagar lors de la première campagne de labellisation, fin 2010.
pratiques savantespratique artistiquelittérature typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences de l’artarts du spectacle typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoireLe centre de ressources documentaires est ouvert aux universitaires, aux chercheurs et aux étudiants, mais chacun peut aussi, en fonction de ses goûts et de sa curiosité, trouver son bonheur à Malagar : aux amoureux des grands espaces, le superbe panorama sur la vallée de la Garonne, les prestigieux vignobles du sud de la Gironde et la forêt des Landes ; aux littéraires, la visite du parc et de la maison tout imprégnés des mots du prix Nobel ; aux amateurs d’histoire, la découverte du parcours d’un écrivain engagé dans son siècle. C’est en tout cas la farouche volonté de l’équipe du Centre François Mauriac (treize personnes) que de partager le plus largement possible la grande richesse d’une œuvre protéiforme immortellement associée à ce domaine et le plaisir qu’avait François Mauriac à y séjourner. Au-delà de son attrait touristique, Malagar accueille donc, chaque saison, une trentaine de rendez-vous culturels faisant place à toutes les disciplines artistiques, en accès gratuit : spectacles de danse, expositions, concerts, rencontres et débats, cinéma en plein air, lectures, etc. On peut aussi venir apprendre à cultiver son jardin en profitant de l’expertise des deux jardiniers du domaine. Et puisque de transmission il est question, la médiation auprès des jeunes générations et des établissements scolaires, du primaire au supérieur, fait partie des actions prioritaires du Centre François Mauriac, qui mise avec conviction sur l’intemporalité de l’œuvre du prix Nobel de littérature – une priorité largement partagée par les descendants et ayants droit de l’écrivain-journaliste, très attentifs à l’avenir du domaine de Malagar. Ainsi, plusieurs petits et arrière-petits-enfants sont présents lors des manifestations culturelles, comme Nathalie Mauriac-Dyer (fille de Claude Mauriac), Laurent Mauriac (fils de Jean Mauriac), Pierre Wiazemsky, dit Wiaz (fils de Claire) et sa fille Léa Wiazemsky.

1.4. Malagar aujourd’hui et demain…
acteurs de savoircommunautéinstitution espaces savantsterritoirerégionAujourd’hui s’achève à Malagar un très important chantier de restauration des bâtiments, initié et financé par la Région Nouvelle-Aquitaine, propriétaire des lieux, et la DRAC. Il a consisté en la remise en état d’un bâtiment viticole, le « Chai du Blanc », qui menaçait déjà de s’effondrer depuis les années 1910 – d’où le vibrant appel de François Mauriac à sa mère, la suppliant de ne pas se débarrasser du domaine, au motif que les travaux étaient alors très importants. Ce vaste espace est désormais destiné à accueillir spectacles, expositions et séminaires. La maison a, elle aussi, eu droit à un grand « toilettage » : une opération de consolidation qui devenait urgente, et une restauration profonde mais « discrète » afin de lui redonner son allure de l’époque Mauriac.
construction des savoirstraditiontransmission espaces savantslieumusée espaces savantslieumaisonProgrammé sur deux ans, ce chantier a logiquement nécessité la fermeture de la maison aux visiteurs. De cette contrainte a émergé une réflexion sur l’évolution de la médiation à Malagar, à court terme pour continuer à y accueillir du public durant les travaux, mais aussi avec l’ambition de proposer, à long terme, une manière innovante de parcourir les pages d’une œuvre et d’une époque. Sans jamais perdre de vue le fait que l’outil ne doit en aucun cas faire de l’ombre aux contenus, mais valoriser leur intérêt et faciliter leur transmission, c’est ainsi que s’est engagée la transition numérique du Centre François Mauriac.
inscription des savoirsvisualisationimagefilm espaces savantslieuarchives matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueElle se concrétise aujourd’hui, dans les anciennes étables restaurées du domaine, par une visite virtuelle de la maison via deux écrans immersifs grâce auxquels, comme lors d’une visite « traditionnelle », on passe d’une pièce à l’autre en compagnie de la guide. Et si le virtuel ne peut rivaliser avec la réalité pour restituer la « sensualité » des lieux, il s’attache néanmoins à recréer leur densité humaine et permet surtout de convoquer à l’envi des documents – iconographie, éléments sonores, etc. – qui viennent illustrer, nourrir et approfondir les propos de la guide. Ces documents sont, pour leur plus grande part, issus du fonds d’archives numérisées du Centre François Mauriac, complétées, grâce à un partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA), par des extraits d’entretiens radiophoniques de l’écrivain ou d’adaptations télévisées ou cinématographiques de son œuvre romanesque.
matérialité des savoirssupportsupport de communicationexpositionÀ ce dispositif s’ajoutent cinq bornes interactives en libre consultation, situées au cœur de l’exposition permanente, dans le Chai du Rouge. Sur des écrans tactiles, le visiteur peut librement accéder à plusieurs niveaux de lecture et ainsi se familiariser ou approfondir sa connaissance de l’univers mauriacien selon quatre thématiques : la vie de François Mauriac, son œuvre, sa famille et le domaine de Malagar.
pratiques savantespratique discursiverécit inscription des savoirslivremanuscritAutre proposition numérique, un « escape game » à destination des adolescents (et de leurs parents…), inspiré de la période durant laquelle Malagar fut occupé par les Allemands durant une partie de la Seconde Guerre mondiale, et du Cahier noir, ouvrage de résistance déjà cité. Ainsi, coiffé d’un casque de réalité virtuelle et muni d’une manette, le joueur part, d’indices en indices, à la recherche du manuscrit original qu’il doit absolument sauver avant l’arrivée de la Gestapo… La proposition est certes ludique, mais son contenu constitue une porte d’entrée dans les écrits de Mauriac, pour ce jeune public qui, le plus souvent, ne l’a encore jamais lu.
construction des savoirséducationCe « serious game » ainsi que la visite virtuelle ont de plus, tous deux, le grand avantage de s’exporter très facilement, notamment vers les établissements scolaires les plus éloignés du vaste territoire de la Nouvelle-Aquitaine ; ces écoles, collèges et lycées pouvant difficilement se rendre à Malagar, c’est Malagar qui désormais vient à eux !
inscription des savoirsvisualisationimagevidéo inscription des savoirsvisualisationimageL’aventure virtuelle ne s’arrête pas là : elle se poursuivra en 2022 par un enrichissement numérique de la « vraie » visite de la maison, grâce à des équipements miniatures et donc très discrets ; sur le même principe, elle permettra l’évocation, la projection et la diffusion de documents, images, vidéos et sons recréant l’atmosphère d’antan tout en augmentant l’accès au parcours intime, romanesque et journalistique du prix Nobel de littérature.
Cette (r)évolution des pratiques de médiation du Centre François Mauriac a été le fruit du travail de toute une équipe très engagée dans ce projet, avec un postulat de départ partagé et non négociable : ne pas céder aux sirènes du gadget, aussi performant et attrayant soit-il, mais utiliser au mieux la technologie au service d’une œuvre et de ses différentes composantes. L’objectif restait, reste et restera la fidélité à un auteur, le respect de son œuvre et l’élargissement de son audience auprès de lecteurs de différentes générations.
typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesinformatiqueimagerie numériqueEntre deux périodes de confinement liées à la pandémie de Covid-19, les réactions des visiteurs de tous âges, scolaires compris, ont été à la hauteur du pari : non seulement l’outil numérique a été adopté sans difficulté, mais il participe d’un regain d’intérêt pour cet auteur de la part de ceux qui ne l’avaient jamais lu et à qui cette découverte de Malagar a donné envie de plonger dans l’un de ses romans ; heureuse surprise aussi du côté de ceux dont la lecture de Mauriac s’est faite trop tôt, trop jeunes, et qui repartent décidés à rafraîchir leurs souvenirs littéraires.
Cela dit, hormis sous la plume de François Mauriac, tous les écrits sur le domaine de Malagar n’égaleront jamais l’expérience et l’émotion d’une découverte in situ de cette maison d’écrivain…

Mémoires intérieurs, Éd. Flammarion, 1959
Le Romancier et ses personnages, Éd. Corrêa Buchet-Chastel, 1933