1.
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie acteurs de savoiracteur non humainanimalLes monstres, les personnages extraordinaires, les animaux qui se transforment en hommes, ou l’inverse, envahissent la culture européenne avec une récurrence qui a alimenté de très nombreuses études parmi les philosophes, les anthropologues, les littéraires ou les historiens. La présence de ces individus dans nos mondes rend compte, à chaque fois sur un mode distinct, du caractère fondamental, jusque dans nos sociétés contemporaines, d’une question qui intéresse l’ensemble des sciences sociales : celle des frontières de l’humain. Réactivée par la nouvelle offre médicale que constituent les manipulations génétiques, elle est, à l’époque moderne, traitée par la culture populaire comme par la culture savante. Dans l’un des textes qu’il a consacrés à l’histoire culturelle de la France des Lumières et publié dans cette même collection, Jacques Revel a attiré notre attention sur le moment de rupture que constitue la seconde moitié du xviii e siècle : selon lui, dans la France de cette période, les « sciences de l’homme » ont vu l’intégration de l’étude des pratiques populaires dans un « projet de traitement cohérent », sans plus être « jugées à l’aune de critères empruntés à des espaces culturels et sociaux étrangers ou concurrents1 ». Il me semble que ce moment de rupture, qui aboutit à la « redéfinition » et à la « codification nouvelle de l’observation » sur la base d’une expertise, est aussi celui qui reconfigure, dans l’Europe des Lumières, la question de la porosité des frontières entre humanité et animalité.
typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l’environnementanatomie construction des savoirsvalidationcontroverse pratiques savantespratique intellectuelleclassementMon intention n’est pas d’esquisser une généalogie des frontières incertaines de l’humain. Je voudrais plutôt saisir cette question à travers une des querelles que celle-ci a pu soulever dans un contexte spécifique, autour d’un objet particulier : l’orang-outan, ou plutôt le chimpanzé, selon la classification actuelle. Si l’analyse de ce singe anthropomorphe remonte au xvii e siècle, c’est avec le siècle des Lumières que son étude s’insère dans nombre de controverses philosophiques sur l’homme. L’une des expressions de cette réflexion se situe dans la Grande-Bretagne des années 1770, au cœur des débats sur l’esclavage qui se déroulent dans le plus puissant des empires européens, lorsque l’orang-outan devient un objet mobilisé par les médecins, les juristes, les partenaires et adversaires de la traite. Mon but est de montrer comment, pour justifier leurs positions politiques, les défenseurs de l’esclavage s’appuient sur les théories qui conduisent au rapprochement entre l’orang-outan et l’homme « sauvage » – catégorie qui inclut les Africains et les Indiens américains mais aussi, au cœur même de l’Europe, les enfants trouvés ou les paysans. L’humanisation du primate est souvent accompagnée d’une représentation bestialisée du Noir (ou du pauvre), ce qui contribue à fracturer l’unité de l’espèce humaine. Je fais l’hypothèse que les prises de position sur l’animalité ou l’humanité de l’esclave puisent directement dans le répertoire des faits et des preuves que l’anatomie comparée met à leur disposition2.
pratiques savantespratique intellectuellecomparaison pratiques savantespratique manuelledissectionC’est pourquoi mon analyse s’attache à suivre les réemplois de l’œuvre de l’anatomiste anglais Edward Tyson, membre réputé de la Royal Society et du Royal College of Physicians. La dissection de l’orang-outan, qu’il pratique à Londres en 1698, et sa comparaison ponctuelle avec le corps humain marquent un tournant dans les pratiques médicales, qui affecte la définition philosophique et historique de l’humain tout au long du xviii e siècle. La similitude que cette dissection permet d’établir avec l’homme, sur le plan du corps et du cerveau, conduit l’anatomiste à suggérer une possible continuité entre monde animal et humain, qui invite à repenser la labilité des frontières qui les séparent. À partir de cette expérience, la comparaison entre singes anthropomorphes et hommes « sauvages » devient un geste récurrent de l’anatomie comparée, qui nourrit la science de l’homme des Lumières dans toutes ses dimensions : une science en émergence, entre histoires naturelles, philosophiques et politiques.
Il ne s’agit plus d’une comparaison avec un homme abstrait et dématérialisé, caractérisé par sa raison, comme celui du cogito cartésien, sans « tête ni mains ni jambes », selon la formule synthétique de Georges Gusdorf 3. Avec le geste médical, l’orang-outan et le Hottentot sont hissés sur le même plan : ce sont les termes mêmes de la comparaison qui portent ainsi une logique de séparation, non seulement entre le singe et l’homme, mais aussi et surtout entre le Noir et le « sauvage », d’une part, et le Blanc européen et « civilisé », d’autre part.
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesdroitJe voudrais ici analyser deux situations qui posent la question de la relation historique entre l’orang-outan et l’homme, même si c’est dans des perspectives différentes. Inscrites toutes les deux dans le cadre de l’Empire britannique, elles articulent médecine, droit, science de l’homme et politique selon des modalités distinctes. James Burnet, Lord Monboddo (1714-1799), philosophe et philologue érudit écossais, nourri du modèle des anciens Grecs, voit dans l’orang-outan l’exemple de l’homme primordial, dans la lignée de Jean-Jacques Rousseau. Formé à l’université d’Aberdeen, puis à Groningue, dans les Provinces-Unies, où il complète ses études en droit romain, il est l’auteur de deux œuvres majeures, largement discutées dans le milieu des Lumières écossaises : Of the Origin and Progress of Languages (1773-1792) et Antient Metaphysics (1779-1799). Edward Long (1734-1813) est un planteur anglais, membre du West India Committee, qui réside en Jamaïque entre 1757 et 1769, et qui, à son retour en Angleterre, devient l’une des figures publiques du débat sur les questions impériales. Au moment d’écrire son History of Jamaica (1774) dans le but de défendre l’esclavage et la traite au sein de l’Empire britannique, il pointe la similitude entre l’ourang-outan et le Noir. Les deux auteurs présentent donc des profils différents et portent des projets distincts, à ceci près qu’ils occupent tous deux des fonctions judiciaires : Long est juge à la Vice Admiralty Court de la Jamaïque, à savoir la juridiction qui, dans les colonies britanniques, s’occupe de la législation locale ; Monboddo est juge à la Court of Session d’Édimbourg, la plus haute cour civile de la juridiction écossaise, indépendante et différente de celle d’Angleterre4. Tous deux s’opposent aux lois sur l’abolition de l’esclavage en Grande-Bretagne, et Monboddo est même l’un des juges appelés à siéger dans un procès décisif pour le droit des esclaves, le « cas Knight », conclu en 1778. Pour Monboddo, l’« homme-singe » coïncide avec l’« homme des bois », le « sauvage », et l’érudit porte toute son attention à l’établissement de la distance historique entre celui-ci et l’« homme civil » ; pour Long, l’« homme-singe » est le Noir, il doit être esclave en vertu de son animalité.
1.1. Comparer l’homme
acteurs de savoirprofessionnaturalisteLa science de l’homme des Lumières trouve son principal outil épistémologique dans la comparaison, fondée sur un « type d’interrogation inédite ». Tout en répondant à différentes questions et en visant différents objets, la méthode comparative entend réduire l’apparente infinie variété des caractères à un nombre limité, contrôlé5. Elle est à la base des histoires progressives fondées sur le concept de civilisation, un néologisme de la seconde moitié du xviii e siècle 6 ; elle est aussi au cœur de l’anatomie comparée, une branche de la médecine en plein essor dans cette période. Son usage est légitimé par l’Histoire naturelle de Buffon qui, publiée en trente-six volumes entre 1749 et 1788, s’impose rapidement en Europe dès sa parution (y compris en Grande-Bretagne, ce que l’historiographie n’a pas suffisamment souligné7) : Buffon explique l’utilité méthodologique de la comparaison, voire sa nécessité épistémologique, dans son « Discours sur la nature des animaux », qui ouvre, en 1753, le volume 4 de l’Histoire naturelle :
pratiques savantespratique intellectuellecomparaisonCe n’est qu’en comparant que nous pouvons juger, que nos connaissances roulent même entièrement sur les rapports que les choses ont avec celles qui leur ressemblent ou qui en diffèrent8.
pratiques savantespratique manuelledissection acteurs de savoirprofessionnaturaliste construction des savoirsépistémologieméthodeLe comparatisme devient, avec le naturaliste français, le geste de la méthode. C’est par la comparaison – du physique et des comportements – que la science de l’homme devient possible. Même si Buffon marque la discontinuité radicale entre humanité et animalité, fondée sur les capacités humaines de réflexion, de communication, de perfectionnement et d’invention, il affirme néanmoins qu’il faut « examiner la nature des animaux, comparer leur organisation, étudier l’économie animale en général [pour] nous conduire à la science importante dont l’homme même est l’objet9 ». Le savoir du naturaliste se fonde ici sur un autre domaine de savoir, attentif à saisir dans un même regard l’animal et l’humain : l’anatomie comparée, qui inscrit à son agenda la dissection des singes anthropomorphes et leur mise en relation avec les humains.
Les dissections de singes ne constituent pas une nouveauté en soi, mais la figure d’Edward Tyson ouvre, avec la reprise d’une telle pratique, de nouvelles perspectives10. Son ouvrage, paru à Londres en 1699, mériterait une analyse bien plus détaillée, qui permettrait de comprendre la relation complexe entre un vocabulaire ancien et moderne, utilisé dès le titre11. Ce qui m’intéresse ici est d’en suivre les usages dans le cadre du débat dont je viens d’esquisser les contours, et où ce que retiennent ses différents lecteurs est la ressemblance physique entre le singe et l’homme.
Dans sa minutieuse comparaison entre le corps du singe et celui de l’homme, Tyson aboutit à la conclusion que l’orang-outan/chimpanzé/Pygmée a plus de ressemblances physiques, internes et externes, avec l’être humain qu’avec le singe : il compte quarante-huit points communs contre trente-quatre divergents, y compris dans le cerveau qui se révèle, contre toute attente, incroyablement semblable à celui de l’homme. Ces similitudes sont soulignées par les planches qui accompagnent le texte et qui contribuent à fixer la dimension anthropomorphe du chimpanzé, décrit comme bipède12. Tyson assigne, en outre, au Pygmée des caractéristiques humaines et lui attribue des émotions. C’est à ce stade de la comparaison qu’il réintroduit cependant la distinction, qui remonte à Aristote, entre l’homme rationnel et l’animal seulement sensible, permettant ainsi le retour de l’opposition entre âme et corps :
Les organes, dans le corps des animaux, ne sont que […] des tuyaux et des vaisseaux qui permettent aux fluides de passer, et ils sont passifs. Mais ces facultés plus nobles de l’esprit de l’homme doivent certainement avoir un principe plus élevé ; et la matière organisée ne pourrait jamais les produire […] Si tout dépendait de l’organe, non seulement notre Pygmée, mais aussi toutes les autres brutes auraient avec nous une parenté bien trop proche13.
acteurs de savoircorpsLes corps peuvent donc être dotés d’organes non fonctionnels, inutiles, à l’instar des orangs-outans qui, munis des organes de la voix, ne peuvent cependant pas s’en servir pour parler.
Tyson est la source directe du volume sur les singes de l’Histoire naturelle de Buffon : en 1766, le naturaliste français reprend des pans entiers du raisonnement du médecin anglais. Dans sa lignée, il « avoue » que « si l’on ne devoit juger que par la forme, l’espèce du singe pourroit être prise pour une variété dans l’espèce humaine ». La différence ne réside pas dans le corps mais dans l’âme : c’est pourquoi « quelque ressemblance qu’il y ait donc entre l’Hottentot et le singe, l’intervalle qui les sépare est immense, puisqu’à l’intérieur il est rempli par la pensée et au dehors par la parole14 ».
acteurs de savoirprofessionnaturalisteL’analyse de Tyson est aussi centrale dans la définition de l’Homo nocturnus de Carl von Linné, qui, à partir de la dixième édition du Systema Naturae (1758), invente l’Homo sapiens et le met côte à côte avec le Troglodyte ou orang-outan15. L’historiographie a amplement commenté la rupture qu’introduit Linné sur la question des frontières de l’humain : en intégrant l’homme dans l’ordre des primates, en en rejetant la conception cartésienne qui se fonde sur le binôme rationalité/ humanité et réduit les animaux à des automata mechanica(« Cartesius certe non vidit simios », écrit-il), il fait aussi écho à sa propre expérience à Amsterdam, où il avait pu voir des singes dans l’une des principales villes européennes à pratiquer le commerce des animaux exotiques. Linné souligne la difficulté à identifier des différences spécifiques entre l’homme et le singe anthropomorphe, du point de vue de l’histoire naturelle : il se présente comme un cordonnier dans son laboratoire, qui « considère l’homme et son corps, avec le regard d’un naturaliste, selon lequel un seul signe distingue et sépare l’homme du singe, à savoir la discontinuité entre les canines et les autres dents, chez ce dernier16 ».
1.2. Monboddo, juge et érudit : esclavage, orang-outan et enfant sauvage
Les travaux de Tyson, repris par les naturalistes Linné et Buffon, sont au cœur de la gigantesque recherche de James Burnet, Lord Monboddo, dont l’œuvre alimente, sans le résoudre, le débat atlantique sur le singe et l’homme. Si une tradition d’histoire des idées et d’histoire des sciences s’est longuement penchée sur les différents avatars de la naissance de la science de l’homme, et sur Monboddo comme précurseur de Darwin, je voudrais esquisser un autre cadre de lecture, qui lie la production érudite de Monboddo à sa position esclavagiste comme juge.
La décision prise en Angleterre par la Court of King’s Bench – la plus haute juridiction d’un État régi par la Common Law –, à propos du cas Somerset en 1772, constitue un tournant de cette histoire, car elle prend une valeur claire de condamnation de l’esclavage. Sans entrer dans le détail de ce procès, on indiquera que l’arrêt établit que le maître d’un esclave ne peut obliger celui-ci à quitter l’Angleterre contre sa volonté. Par extension, le cas Somerset conduit à l’abolition de l’esclavage sur le territoire anglais – même si les esclaves continuent à exister en Angleterre, et les avis de vente d’esclaves noirs occupent une place importante dans les journaux de la période. En Écosse, où le commerce triangulaire est aussi actif, une sentence similaire, et encore plus radicale, est émise six ans après, en 1778, par la Court of Session : le cas Knight conduit à l’interdiction de l’esclavage en Écosse, avec un arrêt qui établit que les lois écossaises ne reconnaissent pas l’esclavage, et que les règlements des colonies ne s’étendent donc pas au royaume17. Il faudra attendre 1807 pour que la traite des esclaves soit abolie dans l’Empire britannique par un acte du Parlement, puis 1833 pour que l’esclavage soit aboli par le Slavery Abolition Act. En Jamaïque, sa mise en application ne se fera qu’entre 1834 et 1838.
typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesdroitLa décision prise à Édimbourg, dans le sillage de celle de Londres, ne fait pas l’objet d’une unanimité parmi les juges siégeant dans le procès intenté par le Noir Joseph Knight contre son maître écossais John Wedderburn, qui avait construit sa fortune grâce au commerce du sucre dans les Indes Occidentales et était devenu l’un des plus grands propriétaires terriens de la Jamaïque. Le juge Monboddo s’y oppose au nom de la légitimité juridique de l’esclavage, sur la base du droit romain : l’esclavage n’est pas un droit de nature, mais de jus gentium, comme le gouvernement ou la propriété ; sauf à prouver que « l’esclavage est contraire au jus gentium, il n’y a rien de honteux en lui18 ». En outre, Monboddo considère que le principe de l’esclavage est soutenu par la religion elle-même et par les Anciens, ce qui l’amène à réélaborer la conception aristotélicienne de l’esclave par nature. Or Monboddo n’est pas seulement un homme de loi installé et pratiquant à Édimbourg, il est aussi un philologue érudit et un linguiste réputé de la république des Lettres écossaise : ses positions politiques anti-abolitionnistes peuvent alors être lues à l’aune de ses recherches savantes sur les origines des langues et sur l’ancienne métaphysique, qui lui fournissent un socle intellectuel sur lequel construire la légitimité de ses prises de position.
Monboddo développe dans ses deux œuvres majeures, Of the Origin and Progress of Languages et Antient Metaphysics, une apologie de l’Antiquité (principalement grecque), qui nourrit un mépris féroce de la modernité et de ses contemporains, y compris les monstres sacrés de la philosophie moderne et des Lumières, Newton et Locke. C’est de cette conception qu’il tire une première justification de sa défense outrancière de l’esclavage. Monboddo se distingue aussi de ses contemporains écossais parce qu’il endosse le point de vue de Rousseau sur l’existence d’un statut présocial de l’humanité, et consacre de longs développements à la question de l’humanité de l’orang-outan : dans son ouvrage sur l’origine des langues il reprend à son compte les arguments développés par l’auteur du Discours sur les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)19.
Dans la longue note 10 du Deuxième discours, Rousseau fait l’hypothèse que l’orang-outan est une variété humaine, l’exemple de l’homme dans son état sauvage primordial, que les voyageurs, ignorants de la nature humaine, avaient pris, « sans beaucoup d’examen », pour des bêtes féroces, « à cause de quelques différences qu’ils remarquaient dans la conformation extérieure, ou seulement parce que ces animaux ne parlaient pas20 ». Ainsi, en l’espace d’une note, l’orang-outan/Pygmée de Tyson et le Troglodyte/orang-outan de Linné deviennent l’homme présocial de Rousseau. L’orang-outan est présenté comme un être qui se trouve « encore dans l’état primitif de nature », n’a eu l’« occasion de développer aucune de ses facultés virtuelles », et n’a « acquis aucun degré de perfection ». Il y a pour le moins des « conformités frappantes » entre l’homme et l’orang-outan ou le pongo, note Rousseau, et des différences moins nettes que celles entre homme et homme. Leur « stupidité », et leur mutisme ne peuvent pas être considérés comme des raisons satisfaisantes « pour refuser aux animaux en question le nom d’hommes sauvages ». Rousseau explique que « quoique l’organe de la parole soit naturel à l’homme » – et Tyson avait montré que les orangs-outans étaient munis d’un tel organe –, « la parole elle-même ne lui est pourtant pas naturelle21 ».
C’est la capacité à se perfectionner qui « a élevé l’homme civil au-dessus de son état originel », et qui a rendu le progrès possible, ainsi que le développement des autres facultés humaines ; c’est la perfectibilité qui permet au sauvage idiot et silencieux d’agir comme un agent libre22. Cependant celle-ci ne se développe pas de manière autonome, mais seulement sous certaines circonstances, qui peuvent ne pas se présenter. Exclure les orangs-outans de l’humanité sur la base de leur incapacité à penser ou à parler signifie en exclure aussi les « enfants sauvages ». En liant orang-outan, homme naturel et enfant sauvage, Rousseau formule la question suivante : qu’en serait-il des enfants sauvages si on les confiait à des voyageurs ignorants de la nature humaine plutôt qu’à des philosophes ? La réponse est simple : au lieu de leur apprendre le langage, les voyageurs les auraient traités comme des animaux, les auraient chassés, ou mis dans des zoos, comme des bêtes féroces.
Monboddo se fait l’écho de Rousseau : selon lui, les orangs-outans appartiennent à l’espèce humaine, puisqu’ils partagent avec les hommes les mêmes caractéristiques physiques (larynx, pharynx et langue inclus), puisqu’ils marchent sur deux jambes et non pas sur quatre pattes, contrairement à beaucoup des enfants sauvages trouvés dans les bois d’Europe, puisqu’ils utilisent des bâtons pour se défendre, construisent des cabanes, connaissent l’usage du feu ainsi que la valeur du fer (à la différence des peuples américains, par exemple), et brûlent leurs morts : en un mot, puisqu’ils vivent en société. Ils sont modestes, sensibles et amicaux, tout comme l’avait déjà indiqué Tyson. En outre, ils s’emparent des femmes noires qu’ils utilisent comme esclaves, pour leur plaisir et pour la copulation. Penser que des êtres de ce genre, aussi semblables aux hommes, puissent appartenir à une espèce différente contredit toute loi de la nature. C’est pourquoi la seconde édition du premier volume de Of the Origin and Progress of Languages, en 1774, enrichie de deux chapitres sur les orangs-outans fondés sur le travail de Tyson, indique que « nous » devons déclarer humains ces derniers, comme le pape Paul III en avait indiqué la voie avec les Indiens d’Amérique au xvi e siècle 23.
Monboddo est donc aux prises avec les différentes théories qui composent le champ scientifique de son temps : il répond à Buffon, réélabore les conclusions de Tyson et celles de Linné, et prend Rousseau pour modèle, dans une entreprise qui vise à retracer le progrès de l’espèce humaine dont la caractéristique principale est la perfectibilité. Suivant la hiérarchie proposée dans le volume 3 de Antient Metaphysics (1784), les hommes primordiaux sont des « hommes brutes et avec une queue » ; suivent les orangs-outans et les « sauvages privés du langage », parmi lesquels on repère les premiers signes de civilisation et de vie sociale, puisqu’ils sont déjà policés et grégaires ; puis arrivent les « sauvages proprement dits », avec lesquels les arts et les sciences sont inventés. Le point culminant de la parabole est composé par les Anciens, qui, avec les Grecs, ont porté le progrès à son degré de développement le plus haut. Avec Rome commence la décadence, qui conduit aux modernes. En analysant le même phénomène sous l’angle du langage, The Origin and Progress of Language s’ouvre sur le constat que « le langage n’est pas naturel à l’homme », soit parce que les idées doivent être formées avant de trouver une expression, soit parce que l’articulation n’est pas naturelle chez l’homme. Le deuxième livre indique que « l’état politique est nécessaire à l’invention du langage » et que « un tel état n’est pas non plus naturel à l’homme, non plus que le langage, auquel il donne naissance » ; avant de traiter, dans le troisième, le « premier développement de la langue » dans l’Égypte antique. On assiste, selon Monboddo, à une lente transformation historique de la nature humaine, accompagnée d’une mutation physique parallèle, au sein de laquelle l’« homme-singe » se transforme, avec le temps, en « homme civilisé24 ».
espaces savantslieuacadémieDans ce raisonnement, la relation entre l’orang-outan et l’enfant sauvage joue un rôle central. Monboddo le dit clairement, après avoir rencontré deux fois Peter, le garçon sauvage trouvé dans les bois de la région de Hanovre, emmené à la cour de Georges Ier et confié (sans résultat) à l’un des médecins les plus fameux de l’époque, John Arbuthnot, membre de la Royal Society, médecin de la Reine :
À part l’orgueil, rien ne peut nous empêcher d’être convaincu que l’orang-outan est un homme. Si l’orang-outan n’est pas un homme, alors Peter le garçon sauvage n’en est pas un25.
La référence polémique à Buffon devient alors directe :
Donc, si l’orang-outan de M. Buffon n’était pas un homme parce qu’à l’âge de deux ans il n’avait pas appris à parler, il est impossible de croire que Peter, qui, à soixante-dix ans, après avoir passé plus de cinquante ans en Angleterre et qui n’a appris à articuler que quelques mots, est un homme26.
pratiques savantespratique intellectuelleclassement Linné, qui fait de l’Homo ferus une catégorie taxinomique, une variété de l’Homo sapiens, et donc un objet de discussion savante, intègre, entre 1758 et 1766, dans sa classification les cas particuliers de Peter (Juvenis hannoveranus), et de Marie-Angélique, la jeune fille sauvage trouvée en Champagne (Puella campanica). Puisque la fonction même de la taxinomie est celle de construire des classes, Linné ne se réfère pas à leur histoire particulière, mais seulement à leur sexe et au lieu de leur découverte. Monboddo, en revanche, part de ces cas pour retracer le progrès de l’espèce, du stade sauvage au stade civilisé. Il se réfère de nombreuses fois à « Peter the Wild boy » dans son ouvrage sur les origines des langues, et décrit minutieusement Marie-Angélique, the « Savage Girl of Champagne » dans la préface à la traduction anglaise de l’Histoire d’une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l’âge de dix ans (1755), attribuée à Charles-Marie de La Condamine. Contrairement à Peter, Marie-Angélique se civilise : elle apprend à parler le français, elle devient catholique et finit sa vie dans un couvent. Je n’entre pas dans les détails de cette histoire tout à fait passionnante, qui décrit le processus de domestication de la fille sauvage, sale, au point de paraître noire, avec des dents pointues et des ongles épais, et qui finit civilisée, mais édentée, sans ongles, et malade…27
typologie des savoirsobjets d’étudelangage espaces savantslieulaboratoireMais ce qui m’intéresse ici est que Monboddo reprend l’histoire de Marie-Angélique pour en faire un laboratoire expérimental en vue d’étudier le cheminement universel de l’espèce humaine, depuis sa condition animale jusqu’à un état civil. Il complète donc l’édition française par des détails rapportés de ses conversations directes avec la protagoniste, qu’il rencontre en 1764 à Paris – où il voit aussi, pour la première fois, un orang-outan (chimpanzé) dans le jardin royal de Buffon. Car Monboddo est allé voir cette femme « désensauvagée », et dans son texte, il devient à la fois un témoin et un philosophe. La description lui permet d’aborder la thématique centrale de sa recherche, celle du progrès du langage, depuis des cris et des sons gutturaux jusqu’à un langage articulé, et d’esquisser ainsi l’idée du lien indissoluble entre capacité de s’exprimer et progrès de l’esprit humain. Les pages finales du récit de la « jeune fille sauvage » disent ce qu’enseigne son histoire : si le lecteur « vulgar » y trouve un divertissement, comme s’il lisait Robinson Crusoé, le philosophe peut en tirer bien d’autres conclusions. Il peut retracer les étapes du progrès humain à partir de la condition la plus sauvage, celle de « mutum et turpe pecus », comme le postulaient les Anciens, Horace et Diodore de Sicile. Les spéculations des philosophes modernes, qui prétendent que l’homme est toujours le même animal même s’il passe à travers différentes étapes et conditions, ne sont pas seulement absurdes, mais elles sont aussi « contredites » par toute l’histoire de l’espèce humaine. Autrement dit, il y a une discontinuité totale dans la nature humaine, et celle-ci est due à son histoire.
L’histoire du genre humain se donne donc à lire comme celle d’un cheminement de l’animalité à l’humanité complète :
À l’origine, l’homme lui-même était un animal sauvage, jusqu’à ce qu’il soit apprivoisé, et, si je puis dire, humanisé, par la civilité et les arts28.
En soulignant les traits bestiaux de la jeune fille sauvage et les caractères humains de l’orang-outan (capables de perfectibilité), Monboddo prouve l’origine animale de l’humanité. Mais en tant qu’ardent défenseur de l’antique méritocratie, il voit dans l’orang-outan moins la société égalitaire de Rousseau que sa capacité « aristocratique » à émerger d’un troupeau indifférencié29.
acteurs de savoircatégorie socialeesclave Monboddo est non seulement un farouche opposant à la loi écossaise antiesclavagiste de 1778, mais, selon le témoignage de son adversaire politique et philosophique d’Aberdeen, James Beattie, il se serait même exprimé en faveur d’un retour de l’esclavage dans la métropole britannique, pour les classes les plus pauvres, qui devaient être liées à la terre avec (et comme) les animaux30. Monboddo, toujours selon Beattie, affirmait sans pudeur que « pour les hommes, comme pour les chevaux, rien ne peut être grand sinon ce qui est noble 31 ». C’est pour lui un fait « indéniable » que les hommes sont « différents par nature » et que la grande majorité d’entre eux est faite pour être esclave, comme l’indiquait Aristote : c’est pourquoi « il n’y a rien contre nature dans l’état d’esclavage32 ».
Cependant, il s’oppose à une infériorisation des Noirs sur la base de leur physique. L’Antient Metaphysics invite le lecteur à ne pas croire que les « qualités de l’esprit dépendent des traits du visage, plutôt que de la couleur de la peau ou de la nature des cheveux33 ». Monboddo s’oppose à ses confrères écossais prêts à défendre l’infériorité des uns contre la supériorité des autres, les Européens. Il attaque l’historien et philosophe écossais David Hume qui, dans un passage de son essai sur les « caractères nationaux », avait affirmé l’infériorité des Noirs et mis en doute leur capacité à se civiliser, tout en s’opposant au système de l’esclavage34. Contre ce pilier des Lumières écossaises, Monboddo n’hésite pas à rappeler que les Égyptiens, la vraie source du savoir grec, étaient un peuple noir, que l’Europe moderne n’est jamais parvenue à égaler.
1.3. L’orang-outan au service de l’esclavagisme du planteur
⁂
Le débat britannique sur l’humanité ou la bestialité des Noirs n’est donc pas tranché par l’érudit Monboddo, préoccupé plutôt de la question des origines sauvages de l’homme et de l’invention du langage : ses arguments pro-esclavagistes se fondent en premier lieu sur la conception aristotélicienne de l’esclavage naturel, et non sur l’idée d’une infériorité inhérente des Noirs. C’est à Edward Long, secrétaire du lieutenant-gouverneur Sir Henry Moore, puis membre de l’Assemblée et juge de la Vice Admiralty Court de la Jamaïque, qu’il revient de mettre l’accent sur les Noirs esclaves.
La History of Jamaica est publiée en 1774 : le livre paraît alors que son auteur est de retour dans la métropole, après un séjour de plus de dix ans en Jamaïque au service de la Couronne. Il est reçu très positivement par les principales revues britanniques et s’impose rapidement auprès du public par la qualité des détails et des informations utiles et de première main qui sont fournies sur l’économie d’une colonie pivot du système impérial britannique. La Monthly Review recommande l’ouvrage de Long à toutes sortes de lecteurs, le voyageur comme le politique, le philosophe ainsi que le marchand ou le médecin, qui pourra aussi y trouver des informations importantes35. De manière symptomatique, il ne fait à aucun moment allusion à un aspect central de l’ouvrage : celui-ci est, d’abord et avant tout, un fervent plaidoyer en faveur du système esclavagiste et, dans cette lignée, il est porteur d’une image extrêmement négative des Noirs. La History of Jamaica s’inscrit en effet au cœur du débat ouvert par le cas Somerset, et Long, avant de s’imposer comme « l’historien » de la Jamaïque, s’est d’abord illustré comme pamphlétaire : en réaction à la sentence prononcée dans cette affaire, le juge à la Vice Admiralty Court de la Jamaïque rédige et publie, dès 1772, les Candid Reflections upon the Judgement Lately Awarded by the Court of King’s Bench, in What is Commonly Called The Negroe Cause, qui circule sous le sceau de l’anonymat. En effet, le texte est signé « by a Planter », le choix de l’autodésignation par l’activité économique correspondant à la mise en exergue d’une compétence dans le jugement sur le jugement, due à une expérience de terrain. De ce pamphlet, on ne retiendra qu’un aspect : Long fait appel à la Common Law pour affirmer que le statut légal des Noirs est celui d’une « marchandise », un produit, une propriété. Cela a été établi non seulement par les codes coloniaux, mais aussi par les principes et coutumes du commerce britannique, et a été approuvé par la succession des rois et parlements anglais, avec le consentement de tout le royaume : l’esclavage est partie intégrante de la Constitution anglaise elle-même, et les Africains en Amérique ont un statut légal comparable à celui des vilains de l’Angleterre médiévale. Un autre élément est ajouté à ce plaidoyer pro-esclavagiste : les Africains sont les instruments nécessaires à la colonisation de l’Amérique36.
Long mobilise le schéma conceptuel de la grande chaîne de l’être pour reléguer le Noir au niveau le plus bas de l’échelle humaine, selon une hiérarchie des couleurs qui donne au mulâtre une place intermédiaire entre le Blanc et le Noir. En conclusion, les Noirs diffèrent des autres hommes comme « espèce ». Comme l’a noté Winthrop Jordan dans une étude qui reste fondamentale37, la force du modèle conceptuel que représente la grande chaîne de l’être réside dans sa capacité à universaliser le principe de la hiérarchie. Cette référence devient forte précisément quand le débat sur l’esclavage met en question le principe de la hiérarchie des groupes humains au sein de l’organisation sociale. La History of Jamaica franchit un pas dans ce qui devient une lutte politique entre deux camps opposés : elle se donne à lire comme une attaque contre ceux qui cherchent, sur la base des « principes creux de philanthropie », à combattre l’esclavage en exaltant « à tort » les capacités des Noirs, et en atténuant leurs monstruosités physiques. En s’opposant à ce « philanthropisme », le planteur réagit au nom de la prospérité économique de l’Empire britannique.
En vue d’expliquer les particularités physiques des « Nègres », Long présente et discute les différentes théories anatomiques dont il dispose : de celles du xvii e siècle à celles, plus récentes, Buffon en particulier. Par ce système de références, il entend asseoir son analyse sur des considérations d’ordre scientifique et fonder son crédit sur l’expérience de l’homme de terrain, comme sur la culture du membre respectable de la sociabilité intellectuelle à laquelle il appartient. En s’appuyant sur l’autorité de Tyson, Buffon ou Hume, dont il omet d’indiquer la position antiesclavagiste, Long affirme que les Africains représentent une exception dans le genre humain, se distinguant comme l’unique « espèce » qui ne dispose d’aucune qualité positive, ou capacité de progrès et perfectibilité dans la vie civile ou dans les sciences. Il insiste sur le fait que, par nature, les Nègres sont les êtres « les plus vils du genre humain », depuis toujours et à jamais. L’infériorité des Noirs se fonde sur la superposition de caractéristiques physiques et mentales : une peau de couleur sombre, de la laine en guise de cheveux, un nez écrasé, les lèvres charnues, des femmes aux tétons énormes, une odeur fétide et bestiale, les Africains sont prêts à tous les excès, privés de toute ingéniosité, sans morale et sans goût. Ces caractéristiques sont données et originelles. Il s’agit, en synthèse, d’« un peuple brutal, ignorant, paresseux, roublard, traître, sanguinaire, fripouille, méfiant et superstitieux38 ».
Mélange souvent confus de références à la grande chaîne des êtres et au polygénisme ambiant, le système général du monde de Long fait aussi sa place au grand singe, qui constitue le « lien tangible » entre la race humaine et les quadrupèdes, non seulement d’un point de vue extérieur, mais aussi en termes de qualités intellectuelles. L’ourang-outan a « une sorte de ressemblance triviale avec les singes, mais la proximité la plus grande avec l’humanité, que ce soit par la contenance, la figure, la stature, les organes, la position debout, les actions ou mouvements, la nourriture, le tempérament et la manière de vivre39 ». L’humanisation du singe à travers le pronom personnel répété « he » ne peut pas échapper : « he », l’orang-outan, « remplit l’espace entre l’humanité et le grand singe40 ».
Long puise ses références auprès de Tyson, Linné, Buffon et Monboddo, ainsi qu’auprès d’une vaste littérature de voyage et des sources classiques. Tout au long du chapitre consacré aux « Nègres », il utilise plus particulièrement les descriptions de Buffon contre ses propres conclusions, et il reconnaît sa dette envers Monboddo, l’un des auteurs modernes les plus ingénieux, à son avis. Monboddo permet à Long de récuser Buffon qui, contre toute logique, décrit l’orang-outan muni de tous les organes humains, tout en prétendant qu’ils ne servent à rien. Un naturaliste devrait savoir que l’on manque encore d’informations sur le cerveau des grands singes, et de travaux sur leurs capacités à être éduqués. Long s’installe ainsi dans la position de l’observateur/savant expérimental par opposition à celle du naturaliste français, qui repose sur la seule conjecture :
Pour ma part, je conçois que la probabilité porte à favoriser l’opinion que ces organes humains ne lui ont pas été donnés pour rien : que cette race a une sorte de langage qui lui permet de communiquer ; que celui-ci ressemble au son des dindons qui glougloutent comme les Hottentots, ou au sifflement des serpents importe peu, du moment qu’il est intelligible pour eux […]41
La référence aux Hottentots n’est nullement accidentelle. Elle permet à Long d’arriver au point fort de son raisonnement : « […] pour ce qui semble jusqu’ici, ils ne paraissent en rien inférieurs, du point de vue de leurs facultés intellectuelles, à nombre de ceux de la race noire42 ». S’il est possible de trouver des hommes incapables de parler – comme Rousseau en avait fait l’hypothèse et Monboddo l’avait montré –, il devient également possible, selon Long, d’imaginer l’existence d’êtres capables de parler, sans être totalement humains43. C’est la logique de la grande chaîne des êtres, reprise des arguments du médecin anatomiste Tyson, qui permet à Long de tracer la ligne qui descend de l’homme blanc au noir, puis de l’homme à l’animal. La History of Jamaica mobilise la divinité elle-même comme principe ordonnateur de l’univers. Dans un même mouvement, Long humanise l’orang-outan et animalise le Hottentot. Les singes anthropomorphes sont décrits comme des créatures sui generis, qui se rapprochent fortement de l’homme ; ils sont capables de compassion, de sensibilité et d’humanité44. Les Hottentots, en revanche, avec leur nez écrasé « comme ceux d’un berger hollandais », leurs dents longues et pointues, qui sortent de leur bouche « comme des défenses de sanglier », et toute une série d’autres attributs physiques et mentaux négatifs, sont plus proches des bêtes que des hommes. C’est pourquoi Long déclare : « Aussi ridicule que semble cette opinion, je ne pense pas qu’un mari orang-outan serait en aucune façon une honte pour une femelle hottentote45 ». Ici, le choix de parler de l’orang-outan comme d’un « mari » et de la femme hottentote comme d’une « femelle » doit être lu comme une manière explicite d’animaliser l’Africaine et de socialiser l’animal.
Le viol de femmes noires par les orangs-outans est moins choquant, dangereux et monstrueux que l’union entre l’homme noir et la femme blanche, puisque celle-ci conduit à la corruption du sang anglais, comme Long l’avait déclaré dans son pamphlet sur le cas Somerset. Son discours relie distinction raciale et sociale, dans une vision sexiste :
Les femmes de basse condition en Angleterre sont remarquablement attirées par les Noirs, pour des raisons qu’il serait trop grossier de mentionner : elles s’accoupleraient avec des chevaux ou des ânes si les lois les y autorisaient46.
Une telle assertion n’est pas isolée à cette époque. Long, cependant, franchit un pas lorsqu’il souligne qu’entre orangs-outans et Noirs il y a « le lien et la consanguinité les plus intimes », et qu’il s’agit d’une information « crédible » :
Les rapports amoureux entre eux peuvent être fréquents ; les Nègres eux-mêmes témoignent que ces rapports existent en effet ; et il est certain que les deux races s’accordent parfaitement dans leur disposition à la lascivité47.
pratiques savantespratique intellectuellecomparaisonLes similarités corporelles et celles de comportement s’inscrivent dans une même logique comparative. L’aboutissement cohérent de ce raisonnement se trouve dans la question de Long : « à partir de ce portrait, le Hottentot a-t-il une figure plus humaine que l’orang-outan ? » Tyson et Buffon avaient établi toutes les preuves de l’alliance structurelle entre homme et grand singe, sans en tirer les conséquences48. Long fait de la ligne de partage entre l’homme et l’animal une limite constamment perméable. À mesure que les animaux se rapprochent des hommes, une partie des hommes est décrite comme de plus en plus proche des bêtes, au point de s’y confondre : la figure du Hottentot se superpose alors à celle de l’orang-outan qui « présente une bien plus forte ressemblance avec la race des Nègres que ceux-ci avec les hommes blancs49 ».
Appliquées à la question de l’esclavage, ces constructions théorico-empiriques ne sont pas sans conséquences : le système de la traite, rationalisé et libéré de ses aspects les plus cruels, trouve sa justification dans la mission civilisatrice de l’homme blanc. Elle devient, dans les colonies anglaises, une « institution douce et bienveillante », qui contribue à arracher l’Afrique à la barbarie, en la libérant de ses criminels et en l’intégrant dans le système commercial du monde. Dans le même temps, elle donne aux Noirs la meilleure opportunité d’éducation, par le travail, seuil d’accès à la société civile. En mêlant ainsi stéréotypes traditionnels et « nouvelle » science de l’homme, Long abolit toute distinction entre l’âme et le corps, l’animal et l’humain, et jette les fondements d’une vulgaire philosophie raciste apte à soutenir le système esclavagiste.
Le mouvement antiesclavagiste britannique des années 1770-1780 se saisit une nouvelle fois de l’orang-outan et l’utilise dans un double sens polémique et ironique à la fois, en attaquant les spéculations philosophiques de Monboddo et les prises de position politiques de Long. À Aberdeen, où le mouvement abolitionniste est particulièrement actif et trouve dans les cours de philosophie morale l’une de ses principales tribunes académiques, la défense des Noirs passe aussi par la « ré-animalisation » de l’orang-outan, désormais privé de ses caractéristiques humaines et rejeté comme l’ancêtre des hommes. Dans la critique de James Dunbar, qui est, comme James Beattie, membre de la Philosophical Society et professeur de philosophie morale, l’arrogance de l’Europe moderne ne se limite plus à soumettre politiquement les autres peuples, mais elle cherche aussi à les dominer par la nature : l’Europe « affecte de se mouvoir dans une sphère différente que les autres espèces. Elle s’offense même à l’idée d’un ancêtre commun […] et, en imaginant des différences spécifiques entre les hommes, empêche ou abroge leurs prérogatives communes50 ». C’est ainsi que se justifie l’oppression, voire l’extermination de ce qu’elle (l’Europe) considère comme « une race méchante » (« a meaner race »). Reprenant sur un mode ironique « l’édit infaillible » par lequel le pape Paul III avait reconnu l’humanité des Indiens en 1537, et que Monboddo voulait étendre aux orangs-outans, Dunbar s’adresse aux philosophes modernes : si jusqu’alors l’Europe n’avait pu qu’« usurper la souveraineté, pas le pedigree des nations », grâce à leurs nouvelles théories, c’est l’humanité elle-même qui est usurpée et l’espèce humaine se retrouve réduite au rang de bête. Il s’agit de remettre l’homme sur ses deux jambes et de le distinguer nettement du quadrupède, comme le médecin de Groningue, Petrus Camper, venait de montrer, en rétablissant ainsi les frontières « physiques » entre l’humain et l’animal51. Ce faisant, on se retrouve bien dans le nouveau type d’enquête sur l’homme que Jacques Revel identifiait dans le tournant français des Lumières des années 1780 52.
L’historicisation, à l’issue de ce parcours aura été double : elle aura porté sur les entreprises d’historicisation du singe, au siècle des Lumières, liées au projet de le faire entrer dans une catégorie d’humain qui implique le sens de la temporalité ; elle aura porté sur les catégories d’animalité et d’humanité, telles que les construit un contexte précis. Historicisation de la définition de l’humain, articulation, dans le contexte des Lumières, des paradigmes juridique, médical et politique en vue de reconfigurer le débat sur l’esclavage : c’est ici que l’on mesure combien la querelle sur les frontières de l’humain, dès lors qu’elle est inscrite dans une analyse historienne située, est partie prenante de la construction de ce qui aura été la contribution européenne à l’invention de la modernité53.
Jacques Revel, « L’envers des Lumières. Les intellectuels et la culture populaire en France (1650-1800) », Enquête. Cahiers du Cercom, 8, Varia, 1993, p. 27-49.
La nécessité d’historiciser ce thème est d’autant plus forte qu’il court sur la longue durée. Un des exemples les plus parlants est celui de Charles Darwin, dont les théories évolutionnistes s’accompagnent de positions nettement antiesclavagistes. Voir Adrian Desmond et James Moore, Darwin’s Sacred Cause : How a Hatred of Slavery Shaped Darwin’s Views on Human Evolution, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 2009.
Georges Gusdorf, « Préface » à Franck Tinland, L’homme sauvage. « Homo ferus » et « Homo sylvestris », de l’animal à l’homme (1968), Paris, L’Harmattan, 2003, p. 7.
Avec l’Union parlementaire de 1707, l’Écosse reste indépendante de l’Angleterre pour ce qui concerne l’instruction, la religion (avec son église presbytérienne) et le droit : elle maintient ainsi un système juridique fondé sur le droit romain, par opposition à l’Angleterre, construite juridiquement sur la base de la Common Law.
J. Revel, « L’envers des Lumières », art. cit. ; Id., « The Uses of Comparison : Religions in the Early Eighteenth Century », dans Lynn Hunt, Margaret Jacob et Wijnand Mijnhardt (eds.), Bernard Picart and the First Global Vision of Religion, Los Angeles, The Getty Resarch Institute, 2010, p. 331-347.
Voir ici-même la contribution d’Antoine Lilti.
Pour une discussion de ce point, voir Silvia Sebastiani, The Scottish Enlightenment : Race, Gender, and the Limits of Progress, New York, Palgrave-Macmillan, 2013, chap. ii.
Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, 36 vol., Paris, Imprimerie Royale, 1749-1789, vol. 4 (1753), p. 3.
Ibid.
Edward Tyson, Orang-Outang, sive Homo Sylvestris, or, the Anatomy of a Pygmie Compared with that of a Monkey, an Ape, and a Man. A Philological Essay Concerning the Pygmies, the Cynocephali, the Satyrs, and Sphinges of the Ancients, Wherein It Will Appear that They Are All either APES or MONKEYS, and not MEN, as Formerly Pretended, 2 vol., Londres, Bennett et Brown, 1699.
Pour une présentation synthétique mais précise, voir Stephen Jay Gould, « To Show an Ape », The Flamingo’s Smile : Reflections in Natural History, New York, Norton, 1985, p. 263-280 ; F. Tinland, L’homme sauvage…, op. cit.
Les gravures ont été réalisées par Michael Van der Gucht (1660-1725), d’après des dessins de William Cowper (1666-1709), lui aussi anatomiste et membre de la Royal Society.
E. Tyson, Orang-Outang…, op. cit., p. 55.
Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., vol. 14 (1766), p. 32, 62-66. Voir Michèle Duchet, « L’anthropologie de Buffon », dans Buffon, De l’homme, Paris, Maspero, 1971, p. 7-36 ; Robert Wokler, « Tyson and Buffon on the Orang-utan », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, vol. 155, 1976, p. 2301-2319 ; Claude Blanckaert, « Contre la méthode. Unité de l’homme et classification dans l’anthropologie des Lumières », dans Claude Calame et Mondher Kilani (eds.), La fabrication de l’humain dans les cultures et en anthropologie, Lausanne, Payot, 1999, p. 111-126.
Carl von Linné, Systema Naturae (1re éd. 1735), 10e éd., Stockholm, L. Salvii, 1758, vol. 1, p. 24. Voir Lisbet Koerner, Linnaeus : Nature and Nation, Cambridge-Londres, Harvard University Press, 1999.
Linné, Menniskans Cousiner, éd. Telemak Fredbärj, Uppsala Ekenäs, 1955, p. 4-5. Voir Giorgio Agamben, L’aperto. L’uomo e l’animale, Turin, Bollati Boringhieri, 2002, p. 23-27.
John W. Cairn, « Knight v. Wedderburn », dans David Dabydeen, John Gilmore et Cecily Jones (eds.), The Oxford Companion to Black British History, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 244-246 ; Emma Rothschild, The Inner Life of Empires : An Eighteenth-Century History, Princeton, Princeton University Press, 2011, p. 91-96.
Le commentaire de Monboddo est rapporté par David Dalrymple, Lord Hailes, Decisions of the Lords of Council and Session, from 1766 to 1791, Édimbourg, Tait, 1826, vol. 2, p. 776-779. Voir J.W. Cairn, « The Definition of Slavery in Eighteenth-Century Thinking : Nor the True Roman Slavery », dans Jean Allain (ed.), The Legal Understanding of Slavery : From the Historical to the Contemporary, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 61-84 ; Id., « Stoicism, Slavery, and Law : Grotian Jurisprudence and Its Reception », dans Hans W. Blom et Laurens C. Winkel (eds.), Grotius and the Stoa, Assen, Van Gorcum, 2004, p. 197-232.
Monboddo, Of the Origin and Progress of Language, 6 vol., Édimbourg-Londres, Balfour-Cadell, 1773- 1792, vol. 1 (1773), p. 172-176, 272 sq.
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Œuvres complètes, éd. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, 5 vol., Paris, Gallimard, 1959-1995, vol. 3, note 10, p. 208. Voir Claude Lévi-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme », dans Samuel Baud-Bovy et al., Jean-Jacques Rousseau, Neuchâtel, La Baconnière, 1962, p. 239-248 ; Robert Wokler, « Perfectible Apes in Decadent Cultures : Rousseau’s Anthropology Revisited », Daedalus, vol. 107, 1978, p. 107-134 ; Christopher Frayling et Robert Wokler, « From the Orang-utan to the Vampire : Towards an Anthropology of Rousseau », dans Ralph A. Leigh (ed.), Rousseau after 200 Years : Proceedings of the Cambridge Bicentennial Colloquium, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 109-129.
Ibid.
Ibid., p. 142, 162 ; Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, où il est parlé de la mélodie, et de l’imitation musicale (1781), éd. Angèle Kremer-Marietti, Paris, Aubier Montaigne, 1974, p. 210-213. Voir M. Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières (1971), postface de Claude Blanckaert, Paris, Albin Michel, 1995, p. 335 sq.
Monboddo, Of the Origin and Progress of Language, vol. 1, Second Edition with large Additions and Corrections, Édimbourg-Londres, Balfour-Cadell, 1774, chap. iv et v, et notamment p. 347-348.
Alan Barnard, « Monboddo’s Orang Outang and the Definition of Man », dans Raymond Corbey et Bert Theunissen (eds.), Ape, Man, Apeman : Changing Views since 1600, Leiden, Leiden University, 1995, p. 72-85.
Monboddo, Antient Metaphysics, 6 vol., Édimbourg-Londres, Bell et Bradfute-Cadell, 1779-1799, vol. 3 (1784), Appendix, p. 336-337. Voir Richard Nash, Wild Enlightenment : The Borders of Human Identity in the Eighteenth Century, Charlottesville, Virginia University Press, 2003, chap. v.
Ibid., p. 367.
Monboddo, « Preface » à An Account of a Savage Girl, Caught Wild in the Woods of Champagne. Translated From the French of Madam H-T. With a Preface, Containing Several Particulars Omitted in the Original Account, Édimbourg, Kincaid et Bell, 1768 ; Id., Antient Metaphysics, op. cit., vol. 4 (1795), Appendix, p. 403-408. Voir Julia Doutwhaite, « Rewriting the Savage : The Extraordinary Fictions of the “Wild Girl of Champagne” », Eighteenth-Century Studies, vol. 28 (2), 1994-1995, p. 163-192 ; Id., The Wild Girl, Natural Man, and the Monster : Dangerous Experiments in the Age of Enlightenment, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 11-69.
Monboddo, Origin and Progress of Language, op. cit., vol. 1 (1774), p. 144, italiques dans l’original ; voir aussi Id., Account of a Savage Girl, op. cit., p. xvii.
Aaron Garrett, « Human Nature », dans Knud Haakonssen (ed.), The Cambridge History of Eighteenth-Century Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 183.
Voir la lettre de James Beattie à Beilby Porteus, évêque de Londres et actif abolitionniste (17 décembre 1779), dans William Forbes, An Account of the Life and Writings of James Beattie, 2 vol., Londres, Roper, 1824, vol. 2, p. 64-65.
James Beattie, « On the Lawfulness and Expediency of Slavery, Particularly that of the Negroes, Written in the Year 1778 », dans The Works of James Beattie, introduction de Roger J. Robinson, 10 vol., Londres, Routledge-Thoemmes Press, 1996, vol. 10, p. 6, italiques dans l’original.
Monboddo, Antient Metaphysics, op. cit., vol. 4, p. 177.
Ibid., vol. 3, p. 144-145, note.
Ibid. David Hume, « Of National Characters » (1748 ; mais le passage en question date de 1753 ; il a ensuite été révisé en 1777), dans Essays Moral, Political and Literary, éd. Eugene F. Miller, Indianapolis, Liberty Fund, 1985, p. 208, 629-630. Voir S. Sebastiani, The Scottish Enlightenment, op. cit., chap. i et iv. Monboddo critique la philosophie de Hume dans plusieurs parties de son ouvrage : voir, notamment, Antient Metaphysics, op. cit., vol. 1 (1779), liv. II, chap. xxi ; vol. 2 (1782), liv. I, chap. i et vii ; liv. II, chap. ii, iii et vi ; liv. IV, chap. i ; vol. 4 (1795), liv. II, chap. vi.
Monthly Review, vol. 51, 1774, p. 441.
Candid Reflections upon the Judgement Lately Awarded by the Court of King’s Bench, in What is Commonly Called The Negroe Cause, by a Planter, Londres, Lowndes, 1772.
Winthrop D. Jordan, White over Black : American Attitudes toward the Negro, 1550-1812, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1968, p. 228.
Edward Long, The History of Jamaica, or, General Survey of the Ancient and Modern State of That Island : with Reflections on Its Situation, Settlements, Inhabitants, Climate, Products, Commerce, Laws, and Government, 3 vol., Londres, T. Lowndes, 1774, vol. 2, liv. III, p. 353-354.
Ibid., p. 358.
Ibid.
Ibid., p. 369.
Ibid., p. 370.
Miles Ogborn, « Discriminating Evidence : Closeness and Distance in Natural and Civil Histories of the Caribbean », Modern Intellectual History, vol. 11 (3), 2014, p. 629-651.
Les descriptions du comportement éduqué et modeste des singes exhibés dans la haute société contribuaient à la diffusion de cette image. On peut rappeler notamment « Madame Chimpanzé », en provenance d’Angola, arrivée à Londres en 1738, amatrice de thé et de vêtements de soie, et devenue une célébrité. Voir Londa Schiebinger, « The Gendered Ape », Nature’s Body : Gender in the Making of Modern Science, Boston, Beacon Press, 1994, p. 75-114.
E. Long, The History of Jamaica, op. cit., vol. 2, liv. III, p. 364.
Id., Candid Reflections, op. cit., p. 48-49.
Id., The History of Jamaica, op. cit., vol. 2, liv. III, p. 370. C’est ici que Long place sa note dans laquelle il cite favorablement Monboddo.
Ibid., p. 365.
Ibid., p. 371.
James Dunbar, Essays on the History of Mankind in Rude and Cultivated Ages (1780), Londres-Édimbourg, Strahan-Balfour, 1781, p. 161-162.
Ibid., p. 162, 202-203. Camper est cité comme l’« anatomiste capable », celui qui a enfin résolu, au plan médical, la question de l’identité supposée entre les organes des singes et ceux des humains, ouverte par Tyson : Petrus Camper, « Account of the Organs of Speech of the Orang Outang », Philosophical Transactions, vol. 69, 1779, p. 139-159.
J. Revel, « L’envers des Lumières », art. cit.
« L’Europe et l’invention de la modernité » est le titre du programme doctoral international, coordonné par Jacques Revel entre 2009 et 2015, et dont le cœur a été l’historicisation de la modernité comme mode spécifique de la contribution des historiens au devenir des sciences sociales. Mes remerciements vont à Caroline Béraud et à Philippe Roussin pour leur lecture attentive et bienveillante de mon français.