Aude Therstappen

Abstract

Interesarse en la improvisación en jazz permite resaltar conocimientos originales que están en la encrucijada entre un arte de la memoria y un arte de la esperanza. El improvisador actúa con una constante preocupación por escuchar atentamente y por dejar ir, entre control de un corpus y repetición, y algo siempre diferente. También hay formas colectivas de organización que utilizan un modo de liderazgo «diagonal», que permite redefinir la figura del director. Cruzamos conocimientos de la improvisación y conocimientos de la planificación, a priori poco compatibles, y nos interesamos a las características que permitan verlo como una manera de significación y legitimación para el planificador.

1. Introduction

L’aménageur est avant tout un planificateur. Il s’efforce de prévoir et maîtriser un grand nombre de variables (sociales, économiques, environnementales, techniques…), de les assembler et de les coordonner, afin de guider et si possible contrôler, le développement des territoires. Alors que l’’aménageur est traditionnellement associé à la figure du chef d’orchestre, le rapprochement avec celle de l’improvisateur semble à première vue contre-intuitif, et pourrait passer pour une provocation. Provocation d’autant plus forte et tenace qu’elle plonge son évidence jusque dans notre vie quotidienne. Ne sommes-nous pas, en effet, habitués à penser qu’une action réussie est une action dont les conséquences avaient été voulues et anticipées ? Combien de fois alors n’a-t-on pas entendu « l’action a échoué, ils en sont réduits à improviser » ou encore « cela ne s’improvise pas, c’est un métier ». L’improvisation incarnerait non seulement l’irrationalité et l’inconséquence, le subi, mais aussi l’incompétence. Ce n’est probablement qu’un indice, mais suffisant pour nous faire comprendre qu’intégrer l’improvisation au cœur du métier de l’urbanisme et de l’aménagement rencontrera des résistances. Plus encore, faire entrer l’improvisation comme principe organisateur de la pensée aménagiste tient d’un retournement complet. Et c’est précisément ce qui va nous intéresser.

La réflexion ici proposée voudrait contribuer, certes modestement, à cette possibilité de révolution copernicienne de la pensée urbanistique et aménagiste. Prendre au sérieux une telle aventure implique, à notre avis, de nous éloigner de deux attitudes : d’une part, faire comme s’il suffisait de proclamer le changement de référentiel, pour que celui-ci ait lieu, sans tenir compte de l’épaisseur culturelle de nos disciplines qui filtrent le rapport à ce qu’elles perçoivent comme nouveau, voire comme menaçant. D’autre part, il ne s’agit pas non plus de faire comme si cette révolution copernicienne était condamnée d’avance, l’improvisation n’étant acceptée que recyclée, c’est-à-dire renvoyée à l’inaudible ou la dépréciation.

C’est la raison pour laquelle nous allons, dans une première partie, revenir sur l’évolution de la pensée aménagiste et urbanistique, sur les figures qui fondent les savoirs de l’aménagement, à partir de la présence/absence de l’improvisation, pour mieux saisir les difficultés de son introduction mais aussi les ouvertures qu’elle permettrait.

Dans une seconde partie, nous nous interrogerons sur les savoirs de l’improvisation, mais en les réduisant à un champ que nous étudions et pratiquons : le jazz. Loin de nous l’idée qu’il s’agirait de connaître ce qu’est l’improvisation puis de transposer ses méthodes, voire ses recettes, en aménagement. L’improvisation en jazz est une question trop riche et nous sommes trop respectueux de son potentiel métaphorique pour effectuer des transpositions caricaturales. Mais elle peut nous aider à opérer des décentrements épistémologiques, des changements d’attitude par rapport à ce qui a façonné les conceptions et les pratiques de l’urbanisme jusqu’à maintenant : la haine de la surprise et de l’incertitude. Mais l’essentiel, et qui devrait intéresser au plus haut point nos disciplines de l’aménagement, est que l’improvisation en jazz, est bien une discipline de l’action, et dont les musicien ne s de jazz ont fait leur métier !

Enfin, la dernière et troisième partie tentera, certes de façon risquée, des rapprochements entre les savoirs de l’aménagement et ceux de l’improvisation. Quels types de rapprochement pour l’aménagement ? Quelles pistes à explorer pour le métier d’urbaniste ?

2. Les Savoirs de l’aménagement

Pour comprendre l’ampleur du changement (et donc des résistances) que représente l’introduction de l’improvisation, nous allons revenir sur deux des figures fondatrices de l’urbanisme, celle du chef d’orchestre et celle de la science. Nous nous y intéressons au moment où elles structurent les sources de sens et de légitimation de l’aménagement confronté à son institutionnalisation (la figure du chef d’orchestre pour l’urbanisme en France au début du XX e  siècle) ou à la nécessité de se renouveler (la figure de la science pour la pensée planificatrice outre-Atlantique, à partir des années 1950). L’hypothèse est que si ces figures structurent le positionnement disciplinaire, réciproquement, elles dessinent en creux les conditions de l’introduction de l’improvisation.

2.1. La figure du chef d’orchestre

2.1.1. Le chef en surplomb

En France, l’institutionnalisation de l’urbanisme à la fois comme discipline universitaire et professionnelle se produit au début du XX e  siècle. Ainsi, dès 1914, la Société Française des Architectes Urbanistes est créée puis, en 1919, l’École des Hautes Études Urbaines (EHEU), préfigurant le futur Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris en 1924. Les débats sur l’institutionnalisation de la discipline, pour « extérioriser la doctrine et faire école » s’organisent dans la revue  La vie urbaine , organe de l’EHEU. Or l’une des figures fondatrices dans la quête de légitimation fut précisément celle du chef d’orchestre (Claude, 1989). Celle-ci, articulée à une conception de l’urbanisme comme art appliqué, avait l’avantage non pas tant d’asseoir la légitimité d’une méthode ou d’une vision de la ville mais plutôt d’affirmer une posture de surplomb et de maîtrise de l’action dans un univers prédictible (la partition musicale totalement écrite). Par cette figure se trouvent conjugués le prestige et l’autorité de « l’homme de l’art », mais aussi celle du chef (… d’orchestre), seul à pouvoir organiser, à mettre ensemble des compétences particulières (les musiciens de l’orchestre), à les mettre en harmonie et à dégager le sens global de l’œuvre à laquelle les exécutants ne sont pas censés accéder. Dans ce mouvement d’institutionnalisation, le poids des architectes fut assez rapidement déterminant, aboutissant à faire de l’urbanisme une extension de l’architecture et donc un urbanisme de projet. Non seulement la figure du chef d’orchestre restait fondatrice, mais elle s’en trouvait « augmentée » dans la mesure où le métier d’architecte, associé métaphoriquement à l’art de la composition, pouvait faire de l’urbaniste un chef d’orchestre compositeur. De fait, cette figure ne laissa guère de place à l’improvisation comme source de légitimation et fondement d’une discipline de l’action. Ou plutôt, elle devait rester marginale (le travail par exemple de l’esquisse architecturale) ou être rendue indiscutable (l’appel à l’intuition, ou au célèbre « geste » architectural ou urbanistique).

Mais l’entre-deux-guerres vit aussi l’apparition d’un mouvement beaucoup plus radical, celui de l’urbanisme moderne. Sa doctrine s’est façonnée progressivement au cours des différents Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (le premier date de 1928) pour aboutir à celui d’Athènes en 1933 et à l’écriture, par Le Corbusier, de la fameuse « Charte d’Athènes », publiée seulement dix ans après, en 1943. Ce texte est véritablement programmatique. La rupture est complète. Il ne s’agit plus du tout de penser le projet dans une relative continuité historique mais bien de faire table rase du passé pour relever les défis que pose à l’aménagement des villes l’avènement de l’ère machinique. Pourquoi vouloir inscrire l’action dans une continuité historique, alors que « notre monde, comme un ossuaire est couvert de détritus d’époques mortes ; une tâche nous incombe : construire le cadre de notre existence. Enlever de dessus nos villes les ossements qui y pourrissent et construire les villes de notre temps » (Le Corbusier, 1925, p. 233). On comprend ainsi que la doctrine de l’urbanisme moderne, obsédée par l’ordre et le classement, vise la création d’une ville totalement rationalisée, c’est-à-dire réduite à une vision fonctionnelle et ségréguée par les principales activités (circuler, habiter, travailler, se reposer). Même si cette présentation de la doctrine corbuséenne manque de nuances, elle rend compte cependant d’une tonalité générale fondée sur l’ordre, l’élitisme et l’autorité du chef en surplomb. En ce sens, elle résonne avec la figure du chef d’orchestre. Ceci dit, Le Corbusier usa principalement de métaphores organicistes et donc plutôt de la figure du médecin, mais pas un médecin qui expérimente prudemment, tâtonne, interagit avec le patient, bref dont on pourrait dire qu’il improvise. Il s’agit plus d’un chirurgien qui opère à vif et à grande échelle ! Enfin, il est clair que la doctrine de l’urbanisme moderne ne semble laisser aucune place à l’idée d’improvisation ou rarement, et en ce cas pour caractériser des situations pathologiques. Pour exemple, dans « La charte d’Athènes », la notion n’est mobilisée à notre connaissance qu’à deux reprises : « Rien n’a été fait pour soumettre l’essor industriel à des règles logiques ; au contraire, tout a été laissé à l’improvisation qui, si elle favorise parfois l’individu, accable toujours la collectivité. (1957, p. 68) et « le hasard cédera devant la prévision, le programme succédera à l’improvisation » (p. 108).

Pourtant, des recherches portant sur l’introduction du jazz en France dans l’entre-deux-guerres (Martin et Roueff, 2002) nous apprennent que Le Corbusier eut une véritable fascination pour le jazz et les improvisations qu’il a pu entendre dans les clubs des années 1930 à New York (Le Corbusier, 1937). C’est que, comme d’autres intellectuels et artistes de l’époque, Le Corbusier y voyait à la fois la manifestation de l’énergie pure, de sa circulation et de sa canalisation par l’articulation et la puissance des rythmes, tout en se déployant dans une précision redoutable. Les improvisations en jazz représentaient finalement ce monde machinique et énergétique dont il sentait l’avènement en Europe et déjà à l’œuvre à New York. Du côté de la pensée urbanistique, il pourrait être intéressant de pousser plus loin la relation apparemment contradictoire entre la figure du chef d’orchestre, la place de l’improvisation et la doctrine corbuséenne de l’urbanisme. Ce chantier reste ouvert. Mais pour le mener à bien, peut-être faut-il suspendre l’idée du caractère fascisant de la doctrine corbuséenne encore bien ancrée (De Jarcy, 2015) ou d’une vision froide (Perelman, 2015) et s’ouvrir à une vision plus nuancée de l’œuvre et du personnage (Chaslin, 2015).

2.1.2. Le chef assemblier

À partir des années 1970, ce que l’on pourrait appeler « l’urbanisme rationnel » a subi une critique théorique et de ses échecs pratiques. La figure du chef d’orchestre s’est alors affaiblie, du moins dans sa capacité à justifier une posture de surplomb. Nous sommes passés d’une figure d’autorité incontestée à une vision plus négociée de ce qui fonde l’action et du partage de responsabilité. Ce glissement correspond globalement à la montée de l’idéologie néolibérale pour laquelle « l’État n’est pas la solution mais le problème », idéologie aidée en France par le début de la décentralisation du début des années 1980. Au fur et à mesure que l’État se fait moins ordonnateur et plus animateur, la rhétorique de la participation dans la conduite de projet monte naturellement en puissance. Le chef d’orchestre descend en conséquence de son piédestal pour adopter un rôle d’ensemblier. Puis, lorsque nous passerons de la rhétorique de la participation à celle de la co-construction en aménagement, le chef d’orchestre se transformera en manager de créativité (cf.  infra ). Une posture qui permet de faire de l’incertitude non pas une contrainte à éliminer ou bien dont il faudrait tenir compte, mais une source de créativité, donc une ressource. On voit ainsi poindre une entrée possible de l’improvisation dans la rhétorique aménagiste.

En fait le pas est franchi depuis une bonne décennie par les disciplines du « management ». Certes, il ne s’agit donc pas d’urbanisme ou d’aménagement du territoire. Mais on sait combien les passerelles existent, tant l’idée de concevoir la gestion d’un territoire comme celle d’une entreprise est une analogie très souvent employée. Dans de prestigieuses écoles de management, on enseigne comment devenir « un pro de l’improvisation en 10 points » (Barrett, 2012) pour favoriser l’innovation, la créativité et l’autonomie. Le manager chef d’orchestre induit, suggère, semble tirer des fils invisibles pour orienter ses partenaires, tout en faisant s’exprimer le potentiel de chaque individu dans une logique d’autonomie élargie des membres d’une équipe. Mais le tropisme des conditions de l’action vers les questions d’innovation, de créativité, valorise l’éphémère, l’instable, la flexibilité, l’émotion et le don de soi. Ce qui, au filtre de l’idéologie néolibérale, induit une dévalorisation de toute idée de régulation, de stabilité, de protection, de droits acquis, devenus des entraves insupportables. Il y a pour nous quelque chose de fascinant et d’inquiétant à voir à quel point l’improvisation peut être appropriée par l’idéologie néolibérale et rendue compatible avec une certaine vision du chef d’orchestre. Cette tendance est-elle irrésistible 1  ? Les rapports de forces idéologiques aujourd’hui peuvent le laisser penser. Mais, sur le plan théorique, les marges de manœuvre sont plus grandes. L’improvisation, en effet, et à la condition qu’on ne la réduise pas à un mot valise, peut nourrir des systèmes d’idées et des modes de territorialisation(s) très différents. Donnons tout de suite un exemple : les travaux d’Horrox (2018) montrent l’importance de l’inspiration kropotkinienne 2  dans la création des premiers kibboutz de l’entre-deux-guerres en Palestine. Ils soulignent ainsi la force d’une conception anarchiste de la production des règles qui conduisent l’action et l’organisation territoriale de cette utopie concrète. Sans même s’interroger sur la valeur ajoutée que pourrait apporter l’improvisation (c’est un chantier qui reste ouvert), retenons ici que ses conditions de réception peuvent lui être favorables dans un contexte idéologique, basé sur l’entraide et la solidarité, bien éloigné de celui du « management territorial ». Nous verrons dans les parties 2 et 3 ce que les savoirs de l’improvisation peuvent apporter sur le sujet.

2.2. La figure de la science

2.2.1. L’arrachement au local

L’urbanisme comme l’aménagement du territoire ont, suivant les époques, les lieux et les courants d’idées dominants, revendiqué leur statut de science. Très schématiquement, en France comme outre-Atlantique, nous sommes progressivement passés de l’urbanisme comme art à l’urbanisme comme science. Le credo est que même si les acteurs locaux (des usagers aux techniciens municipaux, en passant par les élus locaux) savent ce qu’ils font, ils n’ont pas accès au sens global de leur action et qui pourtant va les contraindre. Ainsi, la réalité des problèmes auxquels les urbanistes et aménageurs doivent répondre ne se limite plus à leur manifestation locale, il y a un niveau supplémentaire de diagnostic des problèmes, de condition de leur résolution et de validation qui échappe au local. Et c’est ce niveau que doivent capter l’urbaniste et l’aménageur. Les textes fondateurs états-uniens des années 1950 usent souvent de cet argument par des analogies jouant avec l’effet de taille/structure. Vous ne comprendrez pas la structure du paquebot  Queen Elizabeth  en multipliant par 10 celle de la  Santa María  de Christophe Colomb, nous dit Alonso dans une réflexion sur l’urbanisme se construisant comme profession (Alonso, 1963).

Mais cet arrachement des compétences, cette déqualification du local se fait aussi en jouant sur la possibilité de perception quantitative et statistique des problèmes d’aménagement. À partir des années 1950 surgit en urbanisme, grâce aussi à l’informatique, un mode d’agrégation de données à la fois temporel et spatial qui échappe à ceux qui pourtant y contribuent mais n’y ont pas accès. L’appareillage formel et quantitatif permet la production de lois, de régularités et donc l’existence de résidus (une façon « intéressante » de qualifier « le local »). Il autorise la standardisation des problèmes, justifiant en retour la recherche de procédures systématiques de leurs résolutions, donc de l’importance d’élaborer des méthodes, montrant ainsi que l’urbaniste peut accéder au statut d’une profession au même titre que l’ingénieur. De même, la pensée aménagiste se construit sur une figure de la science qui revendique la différence entre faits et valeurs. Ce qui renforce sa velléité professionnelle. Mais cette revendication se fait précisément au nom de l’éthique en aménagement. Car, selon ses partisans, l’approche scientifique des problèmes en aménagement, c’est-à-dire quantitative et statistique, permet d’échapper aux petits arrangements locaux, faits de compromissions. Ce mouvement de quantification va innerver les modèles de prévision dans pratiquement tous les domaines touchant à l’urbanisme et la planification. Ils apparaissaient comme les plus scientifiques donc les plus sérieux et dignes de confiance, comparés aux autres procédés qui justifient l’anticipation et la décision : la jurisprudence, l’analogie, l’extrapolation ou la puissance de conviction de l’homme charismatique.

Or la possibilité de prévision, donc d’anticipation, assise sur ce type d’approche entraîne un élargissement de la nature des problèmes en même temps qu’une preuve de la nécessité de l’urbanisme surplombant. Car il ne s’agit plus seulement de traiter un problème perçu ni de préparer le terrain (au sens propre et figuré) pour qu’un projet soit recevable. Le rôle de l’urbaniste est de percevoir un problème avant qu’il n’existe, de saisir la nécessité d’agir pour qu’il n’advienne pas. Ce qui pose des difficultés d’administration de la preuve de l’efficacité de l’action (Forester, 1989) et la difficulté à la faire partager par un public (la question du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, sont ici exemplaires). En outre, une bonne partie de la crédibilité de la démarche aménagiste comme urbanistique repose sur sa capacité à fonder en raison l’anticipation, et donc rendre crédibles les effets attendus de son action. Comment construire un monde de connaissance qui permette de convaincre du « si… alors » ? Comment fabriquer les comportements attendus par l’espace et donc élaborer des connaissances portant sur les humains comme les non-humains, qui puissent être au service d’une prévision de leurs comportements ? Dans ce cadre, l’improvisation n’a pas sa place ou alors seulement pour décrire des comportements sub-statistiques, donc insignifiants.

2.2.2. Velléités de scientificité contestées

Cette vision de la planification reposant sur sa velléité scientifique est très loin d’avoir disparu, même si elle fut et reste constamment critiquée. Les critiques portent essentiellement sur les points suivants :

  1. Elle ne résiste pas à sa mise en pratique et donc passe pour purement théorique, voire, ce qui est plus dévalorisant pour l’urbaniste ou l’aménageur, pour utopique.

  2. Plus d’un siècle d’urbanisme montre que la posture de l’urbaniste en surplomb, disposant de l’information totale et des moyens nécessaires pour rendre son action efficace, est la plupart du temps une fiction. On ne peut plus éviter de tenir compte du fait que l’urbaniste est plongé dans des logiques administratives, économiques, etc., qui l’obligent à agir de façon plutôt modeste.

Dès la fin des années 1950 aux États-Unis, au moment même de la montée en puissance du « rational planning », des alternatives critiques s’expriment. Lindblom montre qu’en fait les urbanistes ou planificateurs confrontés à la réalité complexe qu’ils ne dominent pas, sur laquelle ils ont peu d’efficacité, les obligent à inverser la logique de la fin et des moyens et à agir au mieux de façon incrémentale et réversible. L’incrémentalisme de Lindblom n’ira pas, à l’époque, jusqu’à contester la possibilité d’inscrire la planification dans une démarche scientifique, mais à condition de la réduire à une « science of muddling through » 3  (Lindblom, 1959). Vingt ans plus tard, Lindblom réduira encore cette prétention scientifique à « still muddling but not yet through » 4  (Lindblom, 1979). D’autres courants critiques du modèle rationnel se feront encore plus radicaux, comme celui de l’ « advocacy planning » prenant délibérément parti pour les minorités, dénonçant l’objectif de neutralité comme leurre au service du pouvoir (Davidoff, 1965).

Les critiques de la velléité scientifique de la planification n’ont pas seulement porté sur sa validité sociale, mais aussi épistémologique. Si la posture scientifique a permis de renforcer l’institutionnalisation de la discipline à l’intérieur du champ académique, la façon dont le planificateur réfléchit et agit dans l’action ne s’y réduit pas, bien au contraire. Le célèbre ouvrage de D. Schön,  The reflective practitioner  (1982), ouvre un champ d’analyse proche d’une perspective pragmatiste. Or, que tente de combler la réflexion de Schön sur « la façon dont les professionnels pensent dans l’action » ? Un déficit du sens de l’action, de ses fondements comme de son efficacité pensés précisément à partir de la velléité scientifique, et désormais mise à mal. Quel était l’espoir mis dans la démarche scientifique ? Fonder les effets attendus de l’action, les rendre crédibles. Mais aussi, en cas d’échec, pouvoir faire le partage entre ce qui est dû aux conditions d’implémentation, à des défauts du modèle d’action, ou au contraire aux caractéristiques du milieu d’accueil, pour être à même de corriger. Or la pratique planificatrice a été débordée par la réalité qu’elle pensait contenir et informer, incapable de la réduire à un laboratoire dans lequel on pourrait contrôler, expérimenter et apprendre facilement des conséquences de nos actions. L’une des principales raisons avait été proposée dès le début des années 1970 dans un non moins célèbre article de Rittel et Webber : la nature même des problèmes de planification n’est pas réductible à des problèmes d’ingénierie sociale. En aménagement et en urbanisme, nous sommes confrontés non à des « tamed problems » mais à des « wicked problems » (Rittel et Webber, 1973). Dix critères les définissent parmi lesquels : il n’y a pas de test immédiat et ultime à une solution d’un problème vicieux, les solutions ne sont pas vraies ou fausses mais plus ou moins bonnes ou mauvaises, chaque problème est unique mais peut être considéré comme le symptôme d’un autre. Ainsi, la légitimation professionnelle des savoirs de l’urbanisme comme de l’aménagement un temps assumée par l’architecture, puis relayée par les sciences de l’ingénieur, allait à son tour être fragilisée : non seulement par l’amont (la prétention scientifique) mais aussi par l’aval (la nature des problèmes à résoudre).

Enfin, pour parachever la critique épistémologique d’une planification voulant calquer sa démarche sur celle de la science, des théoriciens de la planification n’ont pas manqué de s’interroger sur ce qu’était la démarche scientifique. Or, loin d’y trouver un champ apaisé, ils ont constaté à quel point la question était controversée dans le monde anglo-saxon, alimentée par des colloques et ouvrages où s’affrontent les principaux penseurs de philosophie des sciences anglo-saxons comme Lakatos, Popper, Kuhn et Feyrabend (Lakatos et Musgrave, 1980). Non seulement, l’appréciation scientifique d’une démarche planificatrice ne peut avoir de réponse unique mais le théoricien de la planification, Mario Camhis (1979), montre qu’il y a des correspondances entre différents courants de planification et ceux de la philosophie des sciences (par exemple entre le modèle rationnel de la planification et le vérificationnisme en philosophie des sciences, ou entre l’incrémentalisme de Lindblom et le falsificationisme poppérien). Il suffit alors que cette correspondance ne soit pas respectée (par exemple examiner la scientificité du modèle rationnel à l’aune du falsificationisme) pour que cette démarche planificatrice soit jugée non-scientifique. Cette fragilisation de la figure scientifique a permis que d’autres puissent émerger. L’urbanisme se situe au point de rencontre de ses différentes figures, se revendiquant encore aujourd’hui d’être tout à la fois un art, une science, un ensemble de techniques tout en se servant des savoirs fondamentaux des sciences sociales… On saisit le glissement de la figure du chef d’orchestre vers celles tout aussi classiques du juriste ou du médecin. Certes, d’un côté, l’ampleur des compétences revendiquées (à la fois art, science, technique, etc.) construit une posture totalisante qui n’est pas sans risque. Comme le remarquait, dès 1973, Aaron Wildawsky, « if planning is everything, it may be nothing » 5 ! Mais, d’un autre côté, ne s’agit-il pas d’une reconnaissance de la réalité plurielle, complexe, impossible à embrasser de façon homogène et donc frappée d’incertitude, dans laquelle l’improvisation serait un regard qui convient ?

Nous avons montré une évolution de la pensée aménagiste et de ses figures fondatrices, qui s’était tenue à distance de l’improvisation. Savoir à quelles conditions l’urbaniste et l’aménageur pourraient trouver dans l’improvisation une source de sens et de légitimation de leur métier est donc un véritable défi (Soubeyran, 2014). Pour le relever, abordons les savoirs de l’improvisation en jazz.

3. Savoirs de l’improvisation

« Although it is not an exact science, neither is improvisation an art that only certain talented individuals can pursue. Instead of a random “anything that comes to the top of the head will do”, improvisation is a disciplined craft. Its skills can be learned through continual practice and study, and applied to situations 6  » (Crossan  et al. , 1996). L’improvisation transporte bien souvent un imaginaire qui associe à la figure du « génie », que serait l’improvisateur, l’idée d’une pratique qui créerait  ex nihilo , par la simple force de l’inspiration ou de l’imagination, ou au contraire d’une pratique de petits arrangements et bricolages lorsqu’on ne sait plus comment faire. Pourtant, l’improvisation est identifiée comme art de faire depuis longtemps déjà. Elle fait appel à des connaissances et des compétences que travaillent et développent, sur le long terme, les improvisateurs. Improviser relève alors d’un véritable métier et ne saurait se réduire à une simple expression de spontanéité. Mais l’ensemble de savoirs auquel elle renvoie, comprenant autant des connaissances théoriques que des savoir-faire pratiques, semble bien difficile à cerner, à comprendre et à expliquer. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous mettons ici en lumière quelques-uns de ces savoirs, afin de les faire résonner ensuite avec le monde de l’aménagement.

3.1. L’art de l’écoute et de la répétition

3.1.1. La maîtrise d’une langue

De nombreux auteurs, parmi lesquels des musiciens et sociologues de la musique, pointent les « savoirs préalables » comprenant un ensemble de connaissances théoriques et techniques relatives en particulier aux normes et conventions musicales (Bastien et Hostager, 1991 ; Hatch, 1999 ; Eisenberg, 1990 ; Kamoche et Cunha, 2001). L’apprentissage de ces normes est souvent comparé à celui d’un langage, avec son vocabulaire (les gammes et accords), sa grammaire (les enchaînements d’accords, les altérations), ses règles morphosyntaxiques (structure de la phrase musicale), etc. Ce langage constitue de fait une base nécessaire à l’expression individuelle comme à la communication entre individus. Des structures harmoniques et rythmiques organisent enfin la structure du morceau et sont transcrites en grilles d’accords. Celles-ci transmettent de façon précise la tonalité, la dynamique, la progression dramatique d’un morceau, sa carrure. Au-delà de la maîtrise de la langue, les analystes ont mis en évidence l’importance des connaissances tacites liées à un corpus de références constitué de morceaux – les classiques du genre – fonctionnant comme une « partition implicite » (Lortat-Jacob, 1987 ; Berliner, 1994).

Écouté et pratiqué par les débutants comme par les professionnels, ce corpus constitue une « expérience commune », dont Barrett et Peplowski soulignent le rôle central dans les mécanismes de l’improvisation. Ce répertoire de matériaux pré-composés et pré-répétés constitue à la fois un filet de sécurité sur lequel se reposer en cas de difficulté et un point de départ pour l’improvisation (Hatch, 1999). L’entente et la coproduction sont par ailleurs en partie rendues possibles par l’existence de ce référentiel partagé. Cette maîtrise du langage et d’un corpus de référence se construit également de façon conjointe, collective, par la mise en situation en temps réel. C’est dans ces moments de jeu collectif, comme les  jam-sessions , que les musiciens affinent leur jeu, écoutent ce qu’il se joue, expérimentent, rivalisent d’inventivité, et participent ainsi à créer un langage commun (Becker, 1999). Comme observé plus loin dans certaines pratiques d’occupation de certains territoires, nous avons ici à faire à des formes de savoirs construits dans et par l’action. Ces savoirs incorporés nous rapprochent de la posture de l’artisan plus que de l’artiste, privilégiant les savoirs construits dans et par l’action (Sennett 2010 ; Crawford, 2016). Des savoirs qui s’appuient sur un double mouvement d’ancrage dans une mémoire (individuelle et collective) et tendu vers un avenir ouvert (indéterminé et en transformation continue).

3.1.2. La répétition : entre mémoire et lâcher-prise

Si l’improvisation s’appuie sur des connaissances, des codes et des techniques, souvent incorporés, la question de l’apprentissage dans l’action nécessite d’identifier et de comprendre les processus de réinvestissement, dans le cours de l’action, de cet ensemble de connaissances parfois totalement intériorisées. Le jazz se fonde sur un référentiel partagé qu’il s’agit d’incorporer par la répétition (la répétition implique ainsi la corporéité) pour pouvoir ensuite le dépasser. Ceci nuance une vision de l’improvisateur comme génie créateur, qui serait dans l’invention constante, sans opposer pour autant répétition (et imitation) et originalité. L’idée de répétition est essentielle tant dans l’apprentissage de l’improvisation que dans sa mise en pratique courante. Elle intervient au niveau individuel, dans le travail de l’instrumentiste et dans son expression scénique (on explore une phrase musicale, on la déconstruit, on l’épuise au maximum) mais aussi au niveau collectif (un répertoire joué et refaçonné à mesure de ses interprétations et des modifications apportées). On imite, répète, reprend, bifurque, jusqu’à ce que, petit à petit, du nouveau apparaisse. La répétition peut donc être comprise comme une forme de saturation qui devient condition de la créativité (Citton, 2004). On retrouve cette idée de la répétition et de la saturation comme ressources de créativité chez Le Corbusier, mettant en parallèle le Manhattan des années 1930, métropole en pleine expansion sous le coup de l’essor industriel et du brassage de populations, avec l’expression musicale du jazz de l’époque.

3.1.3. L’écoute ou l’art de l’attention

À côté des connaissances préalables abstraites dans leur contenu, des compétences communicationnelles plus pratiques apparaissent également centrales, avec la maîtrise d’un paralangage (les signaux non verbaux) et des règles de l’échange (tours de paroles). L’éducation du regard (« eye contact ») par laquelle « you develop a sense for when it’s time for the next person to play 7  » (Barrett et Peplowski, 1998) est en particulier centrale. Acquises dans l’action, ces compétences constituent un véritable apprentissage de l’écoute et de la collaboration. Elles servent le développement et la mise en œuvre de principes d’action, tels que « partnering in an autonomous ensemble; soloing/comping; high trust and zones of manoeuvre; risk-taking attitudes; supportive culture 8  » (Kamoche et Cunha, 2001).

Ces principes rattachent l’action à une éthique de la collaboration mettant en avant la réciprocité (donner, recevoir, reconnaître), la confiance (Crossan, White, Lane et Klus, 1996), mais aussi l’acceptation du conflit et de l’erreur. L’improvisation comme mode de faire, tendu vers l’autre, implique de laisser des espaces libres, c’est-à-dire de dompter la peur du silence. Cette peur est bien connue des débutants, qu’elle conduit souvent à préférer combler tous les vides. Il leur faut apprendre progressivement à reconnaître le potentiel expressif du silence, comme moment de tension dramatique mais aussi comme situation productive, condition de possibilité de l’émergence de nouveauté, parfois sous la forme d’ « erreur » à rattraper. En même temps, cette attention présente le risque d’agir comme facteur d’inhibition. Le débutant risque de s’enfermer dans une obsession de l’écoute, intellectualisant tout et paralysant son jeu. L’écoute doit donc être imbriquée dans un processus qui tend vers la saturation : les événements qui surgissent poussant l’instrumentiste à répondre dans une forme de conflit, de confrontation au danger et à l’inconnu. L’improvisation offre alors un mode d’agir qui associe l’attention à l’autre avec une façon de gérer le conflit sans l’effacer, voire comme une condition de l’action. La créativité naît alors de l’écoute, combinant la place faite à l’altérité à travers des vides notamment, et la réponse à l’autre.

3.1.4. L’acceptation de l’erreur

Le traitement de l’erreur fait partie des fondamentaux dans l’improvisation. Sans aller jusqu’à dire que « l’erreur n’existe pas », comme aiment à l’affirmer les spécialistes du management, son acceptation permet de la comprendre comme une façon d’apprendre et de rebondir. Appliqué aux organisations, ce traitement de l’erreur, ou principe de non-punition, permet à la fois de générer de la connaissance, de développer une meilleure anticipation des problèmes mais aussi de mieux gérer les conflits (Morel, 2009). Dans la pratique du jazz, cette forme d’acceptation de l’erreur intervient à la fois dans la phase d’apprentissage et dans le jeu des musiciens expérimentés. Le débutant en improvisation se voit souvent répéter qu’il faut se lancer, expérimenter et ne pas avoir peur de se tromper, pour progresser. Cette posture encourage alors l’instrumentiste à « aller voir où on ne sait pas comment on est » pour reprendre les termes du musicien Bernard Lubat (Faure et Lubat, 2016).

Là encore, c’est à travers la répétition que l’on avance, à travers des séries d’ « essais-erreurs » qui permettent d’identifier les points de blocage, de tester différentes voies, différents assemblages jusqu’à ce que quelque chose de nouveau émerge. L’acquisition d’un langage et la familiarisation avec un corpus de référence, en lien avec le développement d’un art de l’écoute et de la gestion de l’erreur, toutes ces dimensions ne peuvent prendre corps que par la confrontation, la mise en relation directe du musicien avec d’autres, avec la scène, un public. C’est par cette mise en situation que se forge le métier d’improvisateur : il construit son bagage de connaissances non pas  ex ante  mais directement dans l’expérience, au fur et à mesure de sa pratique et dans une logique itérative laissant progressivement place à du nouveau et de l’expérimentation.

3.2. La diagonale de l’improvisation : la figure du chef d’orchestre revisitée

Plutôt que de comprendre l’improvisation comme diamétralement opposée au principe du chef d’orchestre aménageur, Yves Citton (2016) propose de l’appréhender comme un pont tiré, une « diagonale », entre des principes hiérarchiques verticaux et une organisation strictement horizontale. Il montre que l’improvisation n’est ni un assemblage d’éléments préparés à l’avance, que l’on agence différemment selon les contextes, ni un rejet absolu de toute forme de hiérarchie. À travers notamment les écrits du musicien Lawrence « Butch » Morris, il développe une vision du chef d’orchestre qui transcende ces oppositions : « conduction is designed simultaneously “to enhance the ensemble’s interpretive and expressive abilities and skills” and “to engage each musician in a system of music-making that draws on his or her unique personality, history and ability” 9  ». On voit donc apparaître une forme encore différente de celle amenée par Frank Barrett et sa figure du manager professionnel de l’improvisation. Il ne s’agit pas d’avoir un chef d’orchestre qui tire les ficelles et oriente le groupe en fonction de ses intentions mais plutôt d’obtenir un collectif qui fait émerger ses propres singularités. On en trouve un exemple de mise en œuvre dans le  sound painting  mis au point par Walter Thompson aux États-Unis dans les années 1970. Le  sound painting  nous montre que l’on peut faire de l’improvisation collective tout en étant dirigé, avec une technique qui utilise un langage gestuel pour orienter l’improvisation, tout en laissant les musiciens donner libre cours à leur interprétation et à leur créativité. Le groupe d’improvisation en jazz semble donner une image idéale d’un collectif qui parvient à avancer dans l’incertitude.

C’est l’utopie jazz décrite par Citton « où les  impressions  qu’y reçoit chaque membre de la part de ses partenaires l’incitent continuellement à singulariser ses propres capacités d’ expression , en une spirale vertueuse qui permet à chacun de devenir soi sous la pression d’autrui. […] elle fait rayonner l’image d’un monde où l’impression appelle l’expression, où l’incomplétude fatale du donné s’affiche comme telle, pour engager chacun à la fois à y remédier et à se réjouir de tous les possibles qu’elle laisse ouverts » (Citton, 2004). Il ne s’agit pas de faire un portrait idéalisé et lissé de la coopération, mais bien plutôt de voir que c’est à travers des interactions parfois conflictuelles, des logiques de « pression » entre les membres, que ceux-ci sont engagés dans des logiques d’expression et d’individuation fortes. Le collectif d’improvisation ne cherche pas à réduire ou effacer la part d’indétermination propre à chacun et au projet mais vise plutôt à « l’intégrer comme un atout capable de porter le résultat au-delà du projet prévisible » (Citton, 2004), permettant alors au groupe d’exprimer tout son potentiel de créativité.

Cette notion de direction « diagonale » se rencontre très rarement pour typifier la construction de l’action collective en aménagement. Elle pourrait pourtant servir à caractériser les logiques de co-construction en dehors d’une opposition binaire entre d’un côté une vision verticale (suivant le modèle du chef d’orchestre tout-puissant) et de l’autre une purement horizontale. La notion de direction « diagonale » pourrait alors contribuer à renouveler la figure de l’urbaniste chef d’orchestre (De Pertat, 2017). Mais peut-être faut-il aller au-delà et donner sens à l’improvisation dans un cadre social plus radical en considérant également des formes de constructions territoriales et d’appropriations spatiales nées de formes d’action non expertes, émanant de groupes d’habitants plus ou moins organisés. Leur développement, notamment à travers les « utopies concrètes » (Gwiazdzinski, 2016 ; Faburel, 2018 ; Soubeyran 2017), interroge en effet par un autre biais l’action aménagiste, ses cadres et modes d’action traditionnels.

4. La ville comme œuvre ouverte

Nous examinerons dans cette dernière partie dans quelle mesure les savoirs de l’improvisation peuvent éclairer les pratiques de production de l’urbain contemporain en général et le métier d’aménagiste en particulier. Pour ce faire, nous nous tournons vers les improvisateurs de l’urbain contemporain : quels savoirs mobilisent-ils et construisent-ils ? Où agissent ces improvisateurs ?

4.1. Lieux de germination d’improvisations territoriales et de savoirs associés

Certains lieux nous viennent spontanément à l’esprit lorsque l’on pense l’improvisation en lien avec la ville : les quartiers d’habitat informel des villes de pays « en développement » 10 , ou plus près de nous les friches, qu’elles soient industrielles, dents creuses, délaissés des franges urbaines, qui font l’objet d’appropriation sur du plus ou moins long terme. On peut penser également, peut-être moins spontanément, à des espaces publics ou privés objets de revendications et d’occupations diverses, plus ou moins institués, tels que les Zones à Défendre (ZAD). Considérer la ville comme le produit d’une improvisation et l’analyser sous l’angle des savoirs de l’improvisation implique de porter le regard aussi bien sur les experts de l’urbain que sur les profanes. En effet, les habitants davantage que les urbanistes-aménagistes sont les principaux producteurs de ces espaces. Au-delà du caractère spontané et auto-organisé de leur action, il nous semble que les protagonistes de ces territoires déploient des savoirs et savoir-faire que l’on peut rapprocher des savoirs de l’improvisation tels qu’exposés précédemment.

4.1.1. Les savoirs d’action des improvisateurs du quotidien

Considérons pour commencer les processus d’appropriation individuelle ou collective d’espaces tels que les friches, les délaissés urbains et autres interstices. L’absence de programmation planifiée (au moins à court terme) en fait des espaces de respiration, dont la disponibilité permet à des besoins, des attentes et des envies autres que celles portées par la stratégie des professionnels de l’urbain et aux logiques du marché de s’exprimer. Ils permettent à d’autres visions du territoire et temporalités de se déployer. Pour tous ceux qui y participent, ces appropriations et interventions sur l’espace sont l’occasion de développer des connaissances sur la ville et sur le territoire (sur ses acteurs, ses modes de production) et des savoir-faire variés (construction, jardinage, négociation…). Les savoirs ici construits sont à distinguer des savoirs d’usage car il s’agit le plus souvent de territoires non bâtis, vides d’habitants reconnus qui les développeraient. Ce sont bien plutôt des savoirs d’action acquis dans l’expérimentation par des individus qui non seulement utilisent et pratiquent un espace mais contribuent à le façonner. L’absence de partition suscite des processus d’apprentissage, d’évolution, de correction.

L’inscription dans la durée s’impose alors comme un principe central de construction, par l’action, des savoirs de l’improvisation. Petcou et Petrescu (2005), dans leur analyse des premiers jardins autogérés à Paris (portés par le collectif AAA à La Chapelle), mettent d’ailleurs en avant la répétition, de l’acte de jardiner comme des rencontres, dans la construction des connaissances de chacun et surtout dans la constitution d’un socle de savoirs partagés. Les expériences d’habitat coopératif (ou participatif) – en Allemagne depuis l’expérience fondatrice du quartier Vauban de Fribourg, en Suisse avec des expériences comme Kalkbreite à Zurich et plus récemment à Genève avec la coopérative Équilibre par exemple – montrent également comment l’implication des habitants très en amont dans la conception même de leurs logements et jusque dans leur construction permet de développer une communauté reliée par des savoirs acquis collectivement et dans l’action. En travaillant en direct avec un architecte de leur choix, les futurs habitants contribuent à développer des solutions innovantes au niveau technique (toilettes sèches à l’échelle d’un immeuble), dans la typologie des logements (clusters intergénérationnels), les modes de gouvernance partagée... Au-delà des logements, ces expériences permettent également la mise en œuvre d’expérimentations sur les futurs espaces publics pouvant déboucher sur des aménagements pérennes, intégrés par l’architecte comme par l’urbaniste.

À travers ces processus d’appropriations spatiales, l’action des improvisateurs territoriaux fait directement écho aux théories du droit à la ville développées par Lefebvre (1968). En s’appuyant sur une lecture mettant en avant une dialectique entre stratégie et tactique inspirée de De Certeau (1990), on ouvre alors une première voie pour penser l’improvisation comme principe d’action. Elle invite par exemple à considérer l’action aménagiste à la façon d’une grille d’accords, c’est-à-dire comme une grille stratégique donnant des orientations, une tonalité, tout en laissant place non seulement à l’interprétation mais à la création (par opposition à une partition planifiée qu’il ne resterait qu’à exécuter). On trouve dans les écrits sur l’urbanisme tactique (Lydon, 2011 ; Rebar, 2011), du moins dans sa doctrine originelle, une construction théorique intéressante pour aller dans ce sens, toutefois à l’échelle de la construction de la ville et des territoires, la question de la formalisation des savoirs et savoir-faire associés à l’action improvisée et de leur transmission doit être pensée différemment.

4.1.2. La question de la stabilisation et de l’apprentissage de l’improvisation

Les appropriations et aménagements temporaires d’immeubles ou de terrains, caractéristiques de l’urbanisme tactique, préalables à la réalisation d’un projet urbain et parfois le temps du chantier lui-même, sont désormais un phénomène classique, dont témoigne la vogue des jardins partagés, des coopératives ou pépinières d’artistes et petites entreprises… Leur caractère temporaire est bien souvent la condition de leur existence. Des conventions avec les autorités sont conclues et des chartes sont signées qui fixent la durée de l’occupation, sa nature, ses règles et limites… Ce cadrage du temporaire interroge rapidement la capacité de ces lieux interstitiels et temporaires à conserver leurs propriétés improvisées. Intégrés à des politiques d’aménagement, les jardins autogérés du collectif AAA à Paris sont devenus un modèle pour développer les jardins partagés de la mairie de Paris, la guérilla jardinière s’est muée en « permis de végétaliser », etc. L’indétermination est ainsi réduite à son strict minimum, les marges de créativité et la dimension revendicative s’amenuisent, voire disparaissent (Mould, 2014 ; Douay et Prévot, 2014). Sans compter que ces espaces sont désormais parties prenantes d’un véritable marché du temporaire.

La question de l’institutionnalisation des espaces supports d’improvisation, que l’on retrouve dans celle de l’enseignement du jazz dans les conservatoires, est une des plus épineuses, tant normalisation et mise en méthode semblent épuiser la capacité à improviser. Toutefois, en s’appuyant sur une définition de l’improvisation qui met en avant la construction dans la durée et le temps long ( versus l’immédiateté et la simultanéité entre composition et exécution), se dessine peut-être une voie de réduction de la contradiction. Cette définition insiste notamment sur le temps long nécessaire pour que prennent place les processus de subjectivisation des individus et l’apprentissage du politique par le micro. L’importance accordée à la durée traduit également un besoin de permanence, qui, s’il paraît à première vue opposé à l’idée d’improvisation, le rattache en fait à une vision singulière de la durabilité (différente du développement durable classique). Une vision qui construit patiemment le changement dans la durée et qui pourrait peut-être permettre à l’urbaniste de s’y retrouver et de répondre aux craintes des territoires qui cherchent à s’immuniser contre le changement permanent.

4.1.3. Constitution d’une partition implicite et d’un référentiel partagé

Dans les lieux de « l’entre » se construisent de nouvelles façons de faire et vivre la ville, d’autres usages de l’espace pour d’autres imaginaires de société et d’aménagement du territoire. Ces lieux font l’objet d’un investissement socio-spatial porteur d’une dimension éthique et politique : il suffit de penser ici à des territoires tels que les Zones à Défendre (comme celle de Notre-Dame-des-Landes) et autres utopies concrètes. L’action des groupes d’habitants qui les portent renvoie à des visions de l’urbain sous-tendues par des représentations aussi bien sociales que spatiales et politiques. Si ces visions existent en partie au préalable, l’action reste la source première de production de sens, à travers sa matérialité. Progressivement, l’inscription dans la durée permet l’émergence d’un vocabulaire et d’un corpus de références partagés.

Par ailleurs, les luttes engagées pour conserver certains espaces temporaires et leurs usages témoignent de l’enjeu de leur installation dans la durée. Pour tous ces lieux d’utopie concrète, l’objectif est de créer « un lieu où ‘‘le possible’’, justement, pourrait prendre son élan » (De Certeau, 1990, p. 85). Il s’agit de démontrer une capacité à produire une ville alternative durable (en dur et qui dure), c’est-à-dire à proposer des espaces autres tant dans leurs formes que dans leurs processus de fabrication. Il en va ainsi lorsque la friche se pérennise et invente un autre bout de ville : depuis la transformation outre-Atlantique de Detroit en passant par la Belle de Mai à Marseille, le Park Fiction de Hambourg. On observe encore ce besoin de permanence dans l’apparition de coopératives d’artistes qui acquièrent et gèrent des bâtiments, maintenant des espaces « autres » au sein même de la ville existante et de son système capitaliste (Pattaroni, 2018).

Ces modes de production alternatifs de l’urbain questionnent en profondeur le métier d’urbaniste-aménagiste. Évidemment, la réduction à l’éphémère et l’inachevé des expérimentations évoquées plus haut, comme de l’improvisation, est un des plus sûrs moyens de les disqualifier. Pour éviter cela, il s’agit de trouver une source de sens et de légitimité par ce qui était jusqu’alors inavouable pour le métier d’urbaniste. On touche là un enjeu central de la capacité de l’improvisation à devenir une méthode appropriable par les professionnels et à stabiliser ses produits. Comment les savoirs de l’improvisation peuvent-ils venir orienter la pratique des professionnels et peut-être la modifier ?

4.2. Le métier d’improvisateur ? Un chef d’orchestre en mode « direction diagonale »

Revenons tout d’abord sur la diagonale de l’improvisation développée plus haut. Ce mode de direction consiste pour l’urbaniste à construire une grille permettant de guider l’action collective tout en favorisant l’expression de la créativité individuelle et collective par l’expérimentation et la co-construction. On en trouve d’ores et déjà des exemples à l’échelle du bâtiment avec la recherche de formes architecturales ouvertes à l’appropriation et aux ajouts tant sur le plan formel que des usages, décrites par Sennett par exemple. Il suit en cela un principe d’inachèvement qu’il tente de poursuivre à l’échelle urbaine en pensant la ville ouverte par exemple (Sennett 2006, 2018). En prônant l’inachèvement comme principe d’action associé à l’improvisation, l’objectif n’est pas de déresponsabiliser l’aménageur-urbaniste et de responsabiliser les populations à travers un discours le plus souvent moralisateur et visant les moins dotés en ressources, mais plutôt de porter un cran plus loin le principe du « faire avec » des doctrines participatives, pour tendre à la co-construction de chaque étape d’une habitation ou d’un quartier. En invitant les habitants (présents, futurs ou voisins) à s’impliquer et s’engager, il s’agit de rendre possible une logique d’exploration et de ré-examen, s’écartant de politiques conduites par un désir de clarté compulsive, de suivi du script et d’exécution de la règle (Lévy, 2016).

Il faudrait alors imaginer l’action stratégique des praticiens de l’aménagement et des élus laissant volontairement place aux usages et pratiques tactiques des habitants, à qui ils reconnaîtraient en particulier un droit d’agir sur (et non seulement dans) l’espace public. Tout espace non bâti, « vide » – c’est-à-dire non seulement les dents creuses mais l’espace public dans son ensemble – pourrait être un espace ouvert à l’appropriation et à l’expérimentation, et devenir support pour la construction de savoirs d’action. L’aménagiste improvisateur ne craindrait plus les vides, ces silences de l’urbain, mais les verrait comme des occasions de bifurcations et en ferait un cadre pour apprendre à accepter les erreurs, en partie réversibles. L’inachèvement et l’indétermination seraient alors rattachés à une éthique de la collaboration qui privilégie les savoirs construits dans et par l’interaction. Ils situent également la temporalité ouverte de l’improvisation (Lévy, 2018) au service d’un dialogisme propre à la temporalité démocratique : l’inachèvement y est compris comme une condition nécessaire pour que l’on dialogue et négocie constamment, où la dissonance, le conflit, l’erreur sont intégrés et valorisés (Chollet et Felli, 2015). On trouve d’ailleurs dans la notion d’ « improvisation morale » développée par John Forester (1999) pour analyser le travail de coordination et d’articulation des voix contradictoires d’une urbaniste un écho à cette idée de direction diagonale. Il met ainsi en avant la dimension politique du travail de l’urbaniste, au cœur de sa légitimité, en permettant à chacun de s’exprimer et construire une vision collective.

Reste un défi de taille : comment porter l’idée de l’improvisation jusque dans la planification territoriale ?   Des instruments comme le plan-guide de l’île de Nantes portent la question de l’inachèvement des outils de planification à l’échelle du quartier et dans le domaine du réglementaire. Devenu un cas d’école d’un nouveau type de projet urbain (Masboungi, 2010 ; Devisme, 2009), il pointe vers la possibilité d’intégrer un principe d’évolutivité ou de « mutabilité » (Durand, 2017) pour repenser parfois des pans entiers de la ville en renouvellement. Si cette question des instruments est des plus complexes, on peut également insister sur les bénéfices à tirer de l’action improvisée pour agir sur les esprits, l’improvisation impliquant d’ouvrir la partition de la planification à l’impensable, en inversant par exemple le regard sur l’urbain pour le considérer à partir de ses marges et ses vides.

5. Conclusion

Nous voulions examiner en quoi les savoirs de l’improvisation peuvent éclairer l’action aménagiste et dans quelles conditions l’improvisation pourrait devenir un principe d’action. Pour synthétiser notre propos, nous retenons en particulier le double mouvement sur lequel s’appuient les savoirs de l’improvisation en travaillant à la fois l’ancrage dans une mémoire (construite et entretenue à travers la répétition) et la construction d’un avenir ouvert. L’improvisation en musique comme en aménagement nécessite en effet de conjuguer d’un côté des capacités d’ancrage, d’approfondissement des liens dans le temps, de construction d’un langage et d’un référentiel collectif, et de l’autre des capacités d’ouverture tout aussi fondamentales, ouverture à l’autre, à l’erreur… Dans ce qui a contribué à fonder la pensée planificatrice (la figure du chef d’orchestre et l’affirmation progressive de la posture scientifique), la notion d’improvisation n’a guère eu de place sinon pour signifier des situations d’échec. Comme si notre imaginaire planificateur lui avait réservé une place très particulière : celle de l’obscène et de l’inavouable. L’extraire de cette place nous conduit alors à revisiter cette notion et à mettre en évidence des savoirs structurants inspirés du jazz qui la situent à la croisée entre un art de la mémoire et un art d’espérer. Il apparaît que l’improvisateur agit dans un souci constant d’écoute attentive et de lâcher-prise, entre maîtrise d’un corpus préalable et répétition, en tension vers quelque chose de toujours  autre . La créativité s’observe alors jusque dans les formes d’organisations collectives qui mettent en pratique un mode de direction « diagonal », qui ouvrent des pistes pour redéfinir la figure du chef d’orchestre. En se penchant alors sur quelques lieux selon nous emblématiques de l’improvisation, il apparaît que :

  • Des expériences d’aménagements alternatifs peuvent être éclairées par la notion d’improvisation, peut-être mieux que par d’autres notions usuellement employées : bricolages, expérimentation, etc., notamment pour rendre compte de leur dimension politique et de ce qu’ils engagent comme construction dans la durée.

  • Prise dans ce sens, l’improvisation n’est pas orthogonale à un principe d’action plus institué, et donc au métier d’urbanisme. Car l’improvisation peut ne pas être seulement au service de l’autonomie créative, le plus souvent dans sa version néolibérale, mais peut être associée à une visée éthique et politique sensible aux enjeux de solidarité et d’intérêt général.

  • Les savoirs de l’improvisation pointent enfin la possibilité d’une pensée positive du déséquilibre et du mouvant, la possibilité de construire un projet de société porté par un rapport positif à l’avenir, contre une vision statique et précautionneuse du développement durable.

Transformation par l’apprentissage dans la durée, solidarité, art d’espérer, il y a sans doute là un moyen de trouver une nouvelle source de sens et de légitimité pour l’aménagement urbain.

Notes
1.

L’introduction de l’improvisation dans les cursus d’écoles de management n’implique évidemment pas que les pratiques s’en trouvent transformées. Pour l’instant, elle participe plutôt à masquer les pratiques des modèles de management fait au nom de la créativité, de l’innovation, de l’autonomie, qui restent dures et fortement hiérarchiques. Mais s’en tenir à cette réalité, ce serait aussi masquer en quoi elle peut évoluer. Même si la probabilité est faible, au moins deux éléments pourraient introduire du jeu, de l’incertitude, une possibilité d’évolution. D’une part, la construction théorique de l’improvisation comme principe d’action dans un cursus académique et au service d’une légitimité professionnelle, d’autre part une dynamique, parfois imprévisible, entre trois pôles : la capacité de cette construction théorique à donner du sens à des pratiques, à les décrire, à les structurer.

2.

Pierre Kropotkine (1842-1921), géographe, explorateur, fut aussi un des principaux théoriciens de la pensée anarchiste. Son œuvre et ses engagements lui ont valu plusieurs incarcérations, exils, et une mise à l’écart au plan académique. Or, aujourd’hui, nous assistons à un certain retour en grâce de ce penseur autour de la question environnementale qui a publié, en 1902,  L’entraide, un facteur de l’évolution . L’auteur montre l’importance fondamentale de l’entraide et de la solidarité, comme conditions de survie et d’adaptation aussi bien dans la nature et le règne animal que dans les sociétés, quels que soient leurs degrés de développement. Son livre, aux antipodes d’une vision darwinienne de la nature et des sociétés, est aujourd’hui présenté comme une des sources fondatrices de la « collapsologie ». Cette discipline naissante, au croisement d’une réflexion éthique et de la pensée écologique, tente d’apporter une réponse aux risques d’effondrement de nos sociétés provoqués par les conséquences du changement global (changement climatique, effondrement de la biodiversité, etc.). Voir en particulier l’ouvrage de P. Servigne et G. Chapelle,  L’entraide, l’autre loi de la jungle  (2017).

3.

« Science de la débrouillardise ».

4.

« On se débrouille comme on peut, sans vraiment s’en sortir ».

5.

« Si la planification fait tout, elle peut n’être rien du tout. »

6.

« Bien qu’elle ne soit pas une science exacte, l’improvisation n’est pas non plus un art qui serait réservé à quelques individus plus talentueux. Bien plus qu’une pratique aléatoire où “tout ce qui te passe par la tête” fera l’affaire, l’improvisation constitue un véritable métier discipliné. Ces compétences peuvent être acquises par de la recherche, une pratique assidue et des phases de mise en situation. »

7.

« Vous développez un sens permettant de comprendre instantanément quand c’est au tour de l’autre personne de jouer. »

8.

« S’associer à des partenaires au sein d’un ensemble autonome ; s’exprimer en solo ; s’accorder une confiance élevée et des marges de manœuvre ; développer la prise de risque ; une culture de soutien, d’attention à l’autre. »

9.

« La direction [d’orchestre] est conçue pour à la fois “renforcer les capacités d’interprétation et d’expression de l’ensemble” et “engager chaque musicien dans une pratique musicale qui fasse appel à sa propre personnalité, son histoire et ses compétences”. »

10.

Ananya Roy (2005) sans faire référence directement à l’improvisation invite à considérer l’informalité comme un nouveau modèle épistémologique pour la planification, avec ses propres règles et logiques plutôt que comme un état d’exception.